Crialese

Emanuele Crialese : De l’intime à l’immensité

Penelope Cruz illumine L’Immensità, portrait d’une famille dans laquelle tente de s’affirmer un pré-ado trans dans l’Italie conservatrice des années 1970. Un film très personnel signé Emanuele Crialese.

Au moins autant que le film, il y a le geste qui l’accompagne : en septembre dernier, lors de la présentation de L’Immensità à la Mostra de Venise, son réalisateur, l’Italien Emanuele Crialese, a fait son coming out trans. Une déclaration publique loin d’être anodine tant les cinéastes trans demeurent peu nombreux·euses. Peu connu, Crialese est l’auteur depuis un quart de siècle d’une œuvre rare — cinq longs métrages seulement —, mais remarquable par sa subtilité et sa sensibilité, que ce soit le portrait de femme libre de Respiro ou le récit de l’émigration italienne vers le États-Unis au début du XXe siècle dans Golden Door.

Les échos entre ces deux films et L’Immensità sont nombreux, même si les trois sont très différents. Tous renvoient à la même source, l’autobiographie de Crialese, même si ce n’est jamais une autobiographie directe, plutôt des éléments de sa vie qui servent de moteur à ces récits : le portrait d’une mère magnifique (Valeria Golino dans Respiro, la merveilleuse Penelope Cruz dans L’Immensità), le rapport compliqué à la famille, le déracinement pour s’accomplir (la traversée de l’Atlantique pour les héros de Golden Door, là où Crialese a vécu plusieurs années à New York). Et puis le passage d’un pays ou d’un état à l’autre, et le sentiment afférent de ne jamais être vraiment ni soi ni chez soi nulle part, et ce même sentiment au cœur de L’Immensità, à travers le personnage d’Adri si fortement inspiré du réalisateur. 

Crialese

Adri, c’est l’aîné·e de la famille dysfonctionnelle dont la chronique traverse tout le film, 12 ans lorsqu’ils s’installent tous à Rome au début des années 1970, et qu’iel en profite pour se présenter en tant que garçon auprès de ses nouveaux camarades, adoptant un nouveau prénom, Andrea. Car Andrea sait. Il ne sait pas le formuler, mais il sait, comme Emanuele Crialese a su. Adri sait que le genre qui lui a été assigné n’est pas le sien. Adri est un garçon qui s’appelle Andrea. Et bien sûr cela n’arrange pas le lourd climat qui règne entre ses parents, ce père violent et cette mère lumineuse qui subit pour protéger ses enfants, car on ne divorçait pas comme ça dans l’Italie seventies.

L’Immensità est un beau film grave, une histoire en pointillés qui commence dans la joie et qui s’assombrit, qui reprend espoir et qui se brise, un film parfois léger (merci Raffaella Carrà et la BO) mais où surgit la violence, un film d’une grande intelligence, qui n’impose rien à ses spectateurs·rices. C’est terriblement touchant parce qu’on sent tout ce qu’il représente pour son auteur, mais aussi parce qu’il est porté par des acteur·rices en état de grâce, que ce soit Penelope Cruz ou la jeune Luana Giuliani, une non professionnelle que Crialese a découverte dans un club de boxe. C’est un film qui parle d’hier mais terriblement d’aujourd’hui. Un film qui défie les genres.

À voir

L’Immensità d’Emanuele Crialese, avec Penelope Cruz, Luana Giuliani, Vincenzo Amato… En salles le 11 janvier 2023.

© Angelo Turetta

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.