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Nicolas Badout : Faire feu de tout bois

Avec deux expositions en seulement quelques mois à Lyon, l’illustrateur Nicolas Badout pointe du doigt nos incohérences et compromissions face au pouvoir capitaliste. Et ouvre la voie à d’autres possibles. 

Nicolas Badout est dans la pratique et aux origines un artiste-illustrateur lyonnais. Il aimait sortir de sa tête des images que lui évoquaient ses lectures. Grande idée puisqu’on lui proposa d’illustrer la – superbe – réédition du chef d’œuvre de Ken Kesey, Et quelquefois j’ai comme une grande idée (Monsieur Toussaint Louverture, 2020). Un splendide écrin où il déploie dès la couverture une iconographie puissante : un tronc décapité aux racines profondes flotte dans un océan d’yeux aux regards erratiques. Tout semble dit. D’où venons-nous, où regardons-nous ? Mais encore, qu’est-ce qui nous toise et nous attend au tournant ? 

Sa dernière exposition Dans la joie et la bonne humeur, qui s’est tenue en janvier dernier à la galerie l’Alcôve, surlignait – en rose et bleu fluo – sans détours notre ethos schizophrène. Une consciente et folle incertitude sur notre devenir s’y déployait. À califourchon entre pulsions consuméristes que nous aspirons pourtant à réformer et petites – mais quotidiennes – compromissions mortifères qui achèvent de bâtir notre grand palais dissonant. Caustique mais attentif, l’artiste ne se pose toutefois pas en prescripteur préférant se gausser – avec nous – de nous-mêmes, invitant à regarder en face les équilibres fragiles d’un monde au bord du précipice et les peurs d’une génération Y rieuse tout à coup projetée vers « un futur qui n’est pas souhaitable ».

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Perspectives écologiques et répétition de l’histoire 

La question écologique, omniprésente dans son travail, ne forme « toutefois pas un silo » et sous-tend d’autres luttes : LGBT+ et écoféministes… N’en déplaise aux vrais prescripteurs fascisants – têtes dans le guidon néolibéral – lui veut rendre hommage aux hérauts et héraldesses qui annoncent un monde possiblement fait d’identités non-normatives et non-soumises au cynisme confondant de celleux qui ont surtout intérêt à ce que rien ne change. L’artiste invite donc à repolitiser l’art autour d’une production qui percute imaginaires et consciences d’ordinaire abreuvés d’un flot continu d’images opérant des injonctions contradictoires : « Consommez ! Mais pas tant, mais quand même… ». 

Son travail consiste bien souvent à joliment enrober nos contradictions ceci précisément pour ne jamais s’y dérober. Il y est question de possibles lendemains – souhaitables ou non – et donc de notre capacité à re-panser le monde. En ce sens il expose jusqu’à la fin mars au Marché Gare un corpus d’œuvres opérant un cadrage large sur différents moments de vie du Palais de la Culture « Energetik » de Pripyat, situé à moins de 3km de la centrale de Tchernobyl. De sa construction dans les années 1970 à son inauguration ; puis la catastrophe un jour d’avril 1986 et le vide radioactif chassant l’humain du tableau, s’autorisant enfin une incartade dans un futur possible. Parce qu’elle donne à voir l’imminence d’un retour du funeste l’œuvre est saisissante et nous point douloureusement dans un moment où les bombes russes affligent l’Ukraine et menacent aujourd’hui la centrale de Zaporijia.

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À voir

ENERGETIK, exposition par Nicolas Badout jusqu’au 31 mars 2023 au Marché Gare à Lyon. Visible les soirs de concerts pour les personnes munies d’un billet. 

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