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Maggie Nelson : Galvaudée, la liberté ? 

Il y a quelques années alors qu’elle hésite à écrire un livre sur la liberté, trouvant le mot trop galvaudé, Maggie Nelson croise sur le campus où elle enseigne un stand où il est écrit : « Arrêtez-vous si vous voulez parler de liberté. » 

Elle obtempère et se voit proposer trois pin’s aux slogans suivants : « sauver les fœtus / écraser la gauche / défendre le droit au port d’arme ». C’est, entre autres, contre cette appropriation par la droite américaine du terme de liberté qu’elle décide de poursuivre son projet. De la liberté : Quatre chants sur le soin et la contrainte est paru en France en 2022, aux Éditions du sous-sol et c’est une œuvre de pensée contemporaine magistrale.  

Maggie Nelson est une poétesse, essayiste, universitaire et critique d’art états-unienne que nous connaissons principalement pour son ouvrage Les Argonautes paru en 2015 (voir Hétéroclite #130) dans lequel elle partageait l’histoire de sa famille queer, narrant la transition de son compagnon simultanée à sa grossesse et où elle nous livrait déjà une réflexion puissante. 

Dans De la liberté, tout commence par ce besoin, celui d’écrire à propos de la liberté et tout se poursuit par un constat, celui qu’il n’est pas possible de parler de liberté sans parler de soin et de contrainte. Autrement dit, il n’existe pas une liberté aux contours nets et saisissables et de nos désirs inconscients à une vie en société qui suppose de s’organiser, « ma liberté » a peu de sens si elle n’est pas liée à celle de l’Autre et des autres. Breaking news, me direz-vous. Il semble néanmoins que rappeler ceci n’est pas un luxe à défaut d’être un poncif. La liberté est donc aussi contrainte et soin. C’est ce nœud entre liberté individuelle, vie relationnelle et enjeux politiques que Maggie Nelson va dérouler aux fils de quatre domaines aux actualités inflammables : l’art, la sexualité, l’usage des drogues et l’insoutenable inquiétude liée au réchauffement climatique. 

Ambitieux projet qu’elle réussit grâce à une écriture parfaitement ajustée, loin des pièges du style universitaire comme de ceux du récit-témoignage, elle chemine entre le partage de ses expériences, de ses étonnements et un abondant travail de références allant de Rimbaud à Butler, en passant par Michel Foucault, Freud, Nina Simone, Hannah Arendt, Aimé Césaire et Despentes pour ne citer qu’elles et eux. Ambitieux et nécessaire tant sa lecture nous aide à saisir certains enjeux actuels du monde occidental dans lequel nous vivons. Enfin, il est heureux de lire une pensée féministe et décoloniale à propos de la liberté. De lire quelqu’un qui ne doute pas du fait que la liberté de certain·es repose sur le fait que d’autres sont contraint·es. Comme de lire quelqu’un qui croit que nos désirs ne nous sont pas toujours évidents et que nous sommes des êtres complexes et ambivalents. Il en irait de nous comme de la liberté, insaisissables au risque de l’enfermement, capables d’agir pour soi et avec les autres autrement que via des idéologies.

Maggie Nelson

À lire

De la liberté : Quatre chants sur le soin et la contrainte de Maggie Nelson (Éditions du sous-sol). En librairies.

À voir

RVB, jusqu’au 3 septembre 2023 au Musée de l’imprimerie et de la communication graphique de Lyon.

© Tom Atwood

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