Aymeric Martin : Grand entretien

Aymeric Martin. Ce nom ne vous dit peut-être rien mais c’est sous sa co-présidence que le Centre LGBTI de Lyon tente de se réinventer et de surmonter ses conflits internes. Influencé par son parcours au sein de l’association Next Gaymer, il revient avec nous sur l’avenir du Centre, l’organisation de la nouvelle édition du Gaymer Festival et l’industrie du jeu vidéo. 

Comment vous êtes-vous retrouvé co-président du Centre LGBTI de Lyon ? 

Aymeric Martin : Il y a un an et demi, l’association Next Gaymer a rejoint le Centre. C’est à cette même période que l’ancienne direction a démissionné en raison de querelles internes. Je débarquais dans ce nouvel espace et j’incarnais une sorte de page vierge pour le Centre LGBTI. 

Quels changements souhaitez-vous instaurer ?

Je vois la situation évoluer sur le long terme. Le but est de recentrer le Centre LGBTI autour de ses valeurs et de ses engagements envers les institutions mais aussi envers le grand public. Je veux redéfinir les rôles du Centre pour pouvoir prendre des mesures concrètes. Pour que le Centre puisse se pérenniser, il est essentiel que nous soyons organisé·es. Avec Héloïse Colin (co-présidente du Centre), il nous semblait essentiel de rétablir le dialogue avec la quarantaine d’associations présentes dans le Centre pour que nous puissions mieux les accompagner. J’espère que mon mandat sera synonyme de réunification. 

Quelles difficultés avez-vous rencontrées en prenant la tête du Centre ? 

Je dirais qu’il y a un gros clivage générationnel. Nous essayons de mettre en relation les différentes associations afin qu’elles ne se désolidarisent pas des autres luttes, mais c’est très compliqué. Nous avons donc mis en place une commission Médiation pour préserver le bon fonctionnement du Centre. 

Comment s’articule votre travail avec les autres associations présentes dans le Centre ? 

Le maître-mot c’est le dialogue. Avec d’une part la remise en place des commissions Culture et Santé. Et d’autre part avec la création d’un chat Discord pour permettre aux associations d’avoir un point de discussion commun afin d’entraîner une synergie générale au sein du Centre. Ce dernier est un couteau suisse dans lequel on doit retrouver tous les types de supports et de connaissances relatifs à nos communautés LGBT+.

Pouvez-vous nous faire un bref retour sur l’histoire de l’association Next Gaymer ?

À l’origine, c’est un groupe d’ami·es qui se sont rencontré·es sur World of Warcraft il y a 15 ans. L’association s’est créée il y a 5 ans pour apporter une structure à la communauté gaming LGBT+ en expansion dans toute la France. Je pense qu’il était vraiment important de créer des espaces de sociabilisation pour les joueur·euses LGBT+ qui souffrent d’une double stigmatisation : être geek et queer. L’association est nationale et possède des pôles par région. À Lyon, il y a plus d’une soixantaine d’adhérent·es. 

Quelles raisons vous ont poussé à créer le Gaymer Festival à Lyon ? 

La première version de l’événement est née en ligne, Covid oblige. La première édition physique a pris forme l’année dernière. Nous voulions proposer un événement LGBT+ autour du gaming à Lyon d’autant plus qu’il n’existe pas vraiment d’alternatives au Gaymer Festival en France et en Europe. 

Aymeric Martin

Avec quelles associations collaborez-vous cette année? 

Nous collaborons avec l’association Exit à l’INSA. Grâce à eux nous avons accès à des ressources matérielles et humaines, essentielles à la mise en place du festival. Nous avions soutenu l’association LGBT+ de l’INSA lors de leur semaine des arts et sciences queer et ils nous rendent la pareille avec le Gaymer Festival. Par ailleurs, nous collaborons aussi avec les associations SOS homophobie, le Refuge et Afrogameuses.

Pouvez-vous nous faire un rapide tour d’horizon de la programmation ? 

Le jeudi soir pour ouvrir les festivités, il y aura un concert-blind test autour des musiques de jeux vidéo. Le vendredi, nous inviterons des professionnel·les de l’industrie du gaming avec notamment Ubisoft et Arcane Studio. Nous convierons aussi des développeur·euses émergent·es et indépendant·es de la région. Le soir, il y aura un drag show gaming sur le thème de l’univers Disney suivi d’un tournoi d’un jeu vidéo de combat dont le roster est composé de drag performers. Le samedi matin, nous proposerons des ateliers et des tables rondes. En fin de journée nous reviendrons sur les sorties de jeux de société autour de thématiques LGBT+ et féministes. Le soir, nous organiserons une sorte d’Intervilles géant (sans la maltraitance animale, bien entendu !) avec plusieurs défis pour les participant·es. Le dimanche, nous aborderons le travail de traduction travers plusieurs jeux vidéo. Pour clôturer le festival, nous décernerons des prix pour visibiliser les meilleurs jeux vidéo, jeux de sociétés, films LGBT+…

Combien de personnes attendez-vous pour cette nouvelle édition du festival ? 

Cette année, nous aimerions rassembler plus de 400 personnes. L’année dernière nous étions contraint·es d’organiser le Gaymer Festival plus rapidement et nous ne disposions pas des mêmes moyens. Nous avions tout de même comptabilisé plus de 140 participant·es. 

Une des participantes de la première saison de Drag Race France fera son apparition sur le campus de l’INSA. Pouvez-vous nous dévoiler son nom ? 

Oui, cette année nous avons l’honneur de recevoir la Briochée. 

La question du doublage dans le gaming est un élément central de cette deuxième édition. Pourquoi ? 

D’abord parce que Maeva Trioux (La Briochée) travaille dans l’industrie du jeu vidéo comme doubleuse. Mais également parce que nous souhaitons questionner les professionnel·les : pourquoi pouvons-nous choisir la musculature, la coupe de cheveux et pas la voix du personnage que l’on incarne ? L’idée, c’est vraiment de s’interroger sur la manière dont la voix interagit avec l’identité du personnage.

Aymeric Martin

Si les séries mettant en scène des personnages LGBT+ fleurissent sur les plateformes de streaming, le jeu vidéo accuse un retard considérable en termes de représentation. Comment l’expliquer ? 

Je crois qu’en réalité c’est l’une des industries les plus en réflexion sur ces thématiques de représentation. L’aspect financier demeure un frein aux avancées, un jeu vidéo doit pouvoir être vendu dans le monde entier. Choisir de représenter des personnages LGBT+ c’est se voir refuser des marchés importants comme la Chine. En interne, les studios sont globalement plutôt au fait de cette situation parce qu’il y a beaucoup de personnes queers qui y travaillent. Il y a peut-être aussi cette crainte d’être accusé de pinkwashing. 

Pourriez-vous nous recommander des jeux vidéo incluant des personnages LGBT+ ? 

Si vous aimez les jeux de tir en ligne, je dirais qu’Apex est un bon exemple de représentation de minorités. Overwatch est aussi une référence, avec notamment une lesbienne en tête d’affiche. Hades est un incontournable des roguelikes. The Last of Us développe un véritable univers autour de ses personnages LGBT+, et ne se contente jamais de remplir bêtement les quotas. Enfin, Butterfly Soup est une visual novel queer à ne pas manquer. 

Sortie il y a quelques mois, la première étude d’envergure sur le sexisme dans le monde du gaming en France met en lumière une situation préoccupante. D’après vous, pourquoi l’univers du gaming peine-t-il à se défaire des stéréotypes misogynes et réducteurs à l’égard des joueuses professionnelles ? 

Je crois qu’il y a un manque de considération pour les femmes et pour toutes les minorités d’ailleurs. Comme dans le sport, il y a cette séparation entre les disciplines jugées féminines et masculines. Rien que dans les insultes que l’on peut retrouver sur les chats des jeux en ligne, on remarque que pour dégrader un joueur on le ramène souvent à des caractéristiques féminines. Je pense que la question à se poser c’est comment modérer ces comportements. 

Pourquoi cette notion de masculinisme est-elle aussi ancrée dans le monde du gaming ? 

Le monde numérique a tendance à se replier sur soi. Nous sommes maintenant conditionné·es par la manière dont on nous propose l’information. Or, avec les algorithmes toujours plus performants, il devient beaucoup plus simple de se conformer et de rester coincé·e dans des manières de penser haineuses en particulier à l’égard des femmes et des minorités. 

À faire

Gaymer Festival du 6 au 9 juillet 2023 sur le campus de l’INSA à Villeurbanne.

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