Devotee : les corps de Lange

Dans Devotee, son nouveau film, Rémi Lange se penche sur le désir d’un beau garçon pour un homme aux membres atrophiés. Une nouvelle façon pour l’auteur d’Omelette de se pencher sur les sexualités et les corps différents… Rencontre.

Rémi Lange a toujours voulu filmer, filme depuis toujours, et ça risque de durer encore un moment. «Je ne saurais pas quoi faire d’autre que des films», dit-il. Ce qui ne l’empêche pas, la phrase suivante, de raconter qu’il vient d’enregistrer une chanson. Et donc, depuis sa fameuse Omelette où il mettait en images son coming-out familial et ses conséquences, Rémi tourne. Sa dernière production s’intitule Devotee. Et quand il ne fait pas lui-même des films, il donne leur chance à ceux des autres via sa petite société d’édition de DVD, Les Films de l’Ange, et la collection Homovies. Comme les siens, ces films-là flirtent avec l’intime et le gore, l’expérimental et le fantastique, le journal et la farce débridée, avec toujours des moyens plus que limités et l’homosexualité en ligne de mire.

Freaks

Car oui, Rémi Lange est un cinéaste fondamentalement pédé, pour qui l’homosexualité est un champ d’exploration dont il ne finit pas de repousser les limites. Après avoir été le premier à mettre en scène un beur gay dans Tarik El-Hob, son dernier film, Devotee, a pour vedette un homo handicapé, sans bras ni jambes, et le désir qu’il provoque chez un beau jeune homme. Encore une première. «Ça m’intéresse de montrer les discriminations qui existent à l’intérieur des marges elles-mêmes discriminées», explique-t-il. «Le corps d’Hervé n’est pas conforme aux standards des images des gays telles qu’on les voit dans les magazines, les films, etc. Il ne va attirer personne. Ce que je voulais montrer, c’est non seulement comment faire avec un corps différent (ce que vit Hervé), mais aussi comment faire avec un désir différent, un désir pour un corps différent (ce que ressent Guillaume) : il y a discrimination envers le corps différent d’Hervé mais aussi envers ceux qui aiment ces corps. Je veux montrer que quand il s’agit de rapports consentants, il n’y a pas de problème. Je voudrais que les spectateurs s’interrogent sur leurs propres désirs, qu’ils soient prêts à les dépasser, qu’ils prennent conscience qu’il existe autre chose. De la même manière que certains après Omelette ont fait leur coming-out, peut-être que d’autres vont vouloir faire l’expérience de corps différents…». Dans le discours comme dans le travail de Rémi Lange, ce thème du corps revient en permanence : «j’ai toujours eu envie de raconter des histoires de corps différents. Ça vient de mon enfance, quand mon père me montrait Freaks au Cinéma de Minuit, puis de ma découverte d’Elephant Man. Plus tard, il y a eu le choc de l’art corporel, Gina Pane, Orlan, etc. Le corps, c’est toujours un grand tabou dans notre société : se mettre nu, avoir un corps différent (trop gros, handicapé, etc.), faire des choses différentes avec son corps… Moi-même, je ne suis pas toujours très libre avec mon corps. C’est un travail de tous les jours d’être bien avec son corps, de l’utiliser comme source de plaisir permanente. L’acceptation de son corps, c’est l’acceptation de soi». Cette fascination pour le corps dans tous ses états ne pouvait que déboucher sur l’envie de tourner un porno : «je voudrais faire La Vie sexuelle de Rémi Lange, un faux journal avec des acteurs, dont les scènes sexuelles seraient tournées par HPG. L’idée, c’est que c’est un type, moi, qui n’assume qu’en partie puisqu’il se filme tous les jours, même dans sa sexualité, mais sans montrer son visage, juste son corps. Ce ne serait pas le mien mais celui d’un mec mieux foutu avec ma carrure et mon visage dévoilé à la fin…».

Autres désirs

On peut reprocher tout ce qu’on veut au cinéma de Rémi Lange (amateurisme, scénarios bancals, manque de tension, etc.), mais on ne peut leur dénier une qualité de sincérité, d’engagement et de courage qui balaie toutes ces critiques. Ce n’est pas Devotee et son sujet casse-gueule qui vont le démentir, tant le réalisateur, malgré (ou grâce à ?) cette absence criante de moyens qui est sa marque de fabrique et sa liberté, parvient à nous rendre proches ce qui nous semblait le plus éloigné. Car on le sait bien : les fantasmes des autres paraissent facilement incompréhensibles, pour ne pas dire repoussants, quand on ne les partage pas. Et c’est justement ce que filme Lange via le désir du beau Guillaume pour Hervé, homme handicapé sans bras ni jambes, dont les moignons le font triper. Fait-il preuve de voyeurisme malsain en nous confrontant à ces scènes au lit entre les deux hommes, ou à ces séquences d’ouverture où l’on surprend Hervé dans son quotidien ? En aucun cas, tant il y a du respect, de la tendresse même, dans la manière dont le cinéaste capte ces moments, ces caresses, ces regards, cette histoire d’amour éphémère qui ne se terminera pas à l’initiative de qui on pourrait croire. Film évidemment dérangeant, absolument queer, Devotee (du nom de ceux qui aiment les membres atrophiés) sait aussi émouvoir en bousculant nos stéréotypes.

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