Retour à Reims

De Didier Eribon (éditions Fayard)

Pourquoi est-on aussi touché par le dernier ouvrage de l’auteur de Réflexions sur la question gay ? Pourquoi est-on aussi interpellé par ce qui s’y joue et s’y noue ? Parce que Didier Eribon, une nouvelle fois, pose les bonnes questions sur l’appréhension de ce que nous sommes et qu’il le fait, de plus, en se livrant ici de façon très intime, et donc en se délivrant. Il y a ainsi deux dimensions dans ce livre, aussi riches, fortes et passionnantes l’une que l’autre. La première est le récit de ce retour vers la ville et le quartier de l’enfance, fuis depuis longtemps, à l’occasion de la mort du père, de la confrontation aux souvenirs, à la famille, au milieu avec lequel l’auteur, devenu ami de Foucault et de Lévi-Strauss, croyait avoir rompu. La seconde, innervée par la question sociale, par la conscience de classe, par la reproduction du carcan social, est une réflexion sur l’identité qui remet en cause bien des idées reçues. L’auteur, qui s’est si intensément penché sur l’identité gay au fil de son travail, est bien forcé d’avouer (et de s’avouer) que cette identité-là, pour essentielle qu’elle soit (ce n’est pas pour rien que c’est d’abord par l’homophobie de son père qu’il explique son départ de sa famille), n’est pas suffisante pour se définir. En mettant face-à-face la honte sexuelle à laquelle son statut de gay l’a conduit et une honte sociale qu’il a toujours été incapable d’affronter et de formuler (son père ouvrier, sa mère femme de ménage, son grand-père concierge…), en s’en extrayant et en intégrant les cercles intellectuels, Eribon nous oblige à nous mettre face à nos propres contradictions : ce que l’on assume et ce que l’on refoule, l’affirmation et le déni, éléments composites de personnalités forcément irréductibles à un seul d’entre eux.

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