“L’Inconnu du lac” : un chef d’oeuvre d’Alain Guiraudie

Avec L’Inconnu du lac, Alain Guiraudie donne un tournant spectaculaire à sa carrière en épurant son trait de cinéaste, racontant une histoire de crime et d’amour dans l’éden homo d’un bord de lac. Un chef-d’oeuvre sorti en salles en juin 2013 et à voir ou à revoir durant une soirée spéciale que l’Institut Lumière consacre au cinéaste dans le cadre de la sixième édition du festival Écrans Mixtes.

Un parking, une forêt, une plage et un lac. Point. L’espace du nouveau film d’Alain Guiraudie, L’Inconnu du lac, est comme un petit théâtre en plein air dont la topographie est scrupuleusement respectée et dont le cinéaste ne débordera jamais. En ce début d’été (ou est-ce une fin de printemps ?), des hommes, rien que des hommes, viennent prendre le soleil, se baigner et baiser. Là encore, ce n’est pas plus compliqué que cela à l’écran : le sexe y est simple comme les «bonjour» échangés avec courtoisie par les plagistes. On est entre habitués, le naturisme est en option et dès qu’un inconnu rejoint ce petit éden homo, cela se remarque tout de suite.

Pour Franck, le beau héros de L’Inconnu du lac, il y en aura deux : d’abord Henri, un peu gros, un peu vieux, qui vient de se faire larguer par sa femme mais n’est pas rétif à une aventure entre hommes ; ensuite Michel, étalon moustachu à la Magnum, objet de désir immédiat mais pas vraiment libre, jusqu’à ce que son amant jaloux ne finisse noyé au fond du lac.

Les couilles (et le reste) à l’air

D’un côté, la solitude un peu triste de celui, inoffensif, qui cherche juste à tromper son ennui en taillant le bout de gras ; de l’autre, la promesse d’une passion avec un homme qu’on sait dangereux mais dont on ne peut résister à l’attrait. Le cœur de Franck ne balance pas vraiment : il se jette dans la gueule du loup Michel et ne garde qu’un fond d’amitié pour Henri. Comme une libre variation autour des Fiançailles de Monsieur Hire de Simenon, L’Inconnu du lac montre que même lorsque le danger rode, évident, le désir, lui, reste aveuglant.

L’Inconnu du lac -alain-guiraudie-queer-palm-cannes-2013

Mais à l’intrigue criminelle attendue, Guiraudie substitue une dose d’humour débonnaire et parfois tordante, croquant ce petit monde avec ses codes, ses rites et son folklore. Et sa crudité : le cinéaste appelle une bite une bite, et la filme comme telle, en action, sans provocation ni voyeurisme. Au gré du passage des jours et de la répétition des séquences – arrivée, baignade, discussion, ébats – il instaure une familiarité sidérante entre le spectateur et les personnages. C’est ce qui rend le dernier acte incroyable : la forêt libertine devient une jungle nocturne façon Weerasethakul, la quête du plaisir devient tentative désespérée pour échapper à l’angoisse d’être seul, le polar miniature devient tragédie majuscule. Et on en sort ébloui, envoûté, bouleversé.

 

L’Inconnu du lac, d’Alain Guiraudie (France, 1h37) avec Pierre Deladonchamps, Christophe Paou …
Vendredi 4 mars 2016 à 21h à l’Institut Lumière, 25 rue du Premier Film-Lyon 8 / www.institut-lumiere.org
20 invitations à gagner en envoyant vos nom et prénom à redaction@heteroclite.org (objet : Alain Guiraudie / L’Inconnu du lac)

 

Palme lacustre

Présenté le 17 mai 2013 au festival de Cannes (dans la catégorie «Un certain regard»), L’Inconnu du lac en est ressorti auréolé d’un Prix de la mise en scène et de la Queer Palm, une distinction créé en 2010 pour récompenser les meilleures œuvres traitant de thématiques LGBT. Un prix qu’Alain Guiraudie est venu chercher en personne, à l’inverse de son prédécesseur Xavier Dolan (lauréat en 2012 pour Laurence Anyways). À Lyon, le festival Écrans Mixtes accueillera une rétrospective dédiée à Guiraudie lors de sa sixième édition (du 2 au 8 mars 2016).

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