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“Les Engagés” : de bonnes idées, mais…

Tournée à Lyon et produite par France Télévisions, la websérie Les Engagés est une fiction en immersion dans le militantisme LGBT, dont il défend une version résolument dépolitisée.

Sur le papier, Les Engagés avaient tout pour nous plaire. Pensez donc : une websérie à thématique gay co-produite par la télévision publique française, d’habitude si frileuse vis-à-vis de l’homosexualité ! Certes, on est encore loin de la diffusion en prime time (les épisodes sont diffusés depuis le 17 mai sur Studio 4, la plateforme web de France Télévision, et en juin sur la chaîne culturelle francophone TV5Monde), mais l’avancée est déjà notable.

Les Engagés, comme son nom l’indique, suit, en dix épisodes de dix minutes chacun, la vie mouvementée d’un Centre LGBT fictif situé à Lyon, le Point G : une façon originale, collective et (a priori) politique de parler d’homosexualité, quand les rares téléfilms gays diffusés à la télévision française (comme Baisers cachés, programmé récemment sur France 2 à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie) se cantonnent bien souvent à des histoires de coming-out adolescents propres à émouvoir et à faire pleurer dans les chaumières.

De fait, la bonne idée des Engagés, c’est de n’avoir pas cherché à offrir une vision idyllique du militantisme LGBT. Les guéguerres interpersonnelles (grand classique de la vie associative !) qui rythment la vie du Point G sont ainsi abondamment décrites et l’islamophobie de certain-e-s militant-e-s est elle aussi évoquée dans une scène courte mais percutante. Malheureusement, le scénario reproduit aussi plusieurs des travers dans lesquels le milieu LGBT tombe fréquemment. Le jeunisme, tout d’abord : les deux personnages principaux sont bien sûr beaux gosses et âgés de vingt et trente ans. La surreprésentation des hommes gays cisgenres au détriment de toutes les autres composantes de la communauté, ensuite : en dehors d’un second rôle lesbien, ils forment la totalité des personnages, parmi lesquels on ne compte aucune personne trans ou bisexuelle.

Complexe du sauveur blanc

Le casting, en revanche, n’est pas uniformément blanc comme c’est trop souvent le cas puisque le héros principal, Hicham, est un jeune gay issu d’une famille arabe et musulmane. Un choix que le scénariste et créateur de la websérie, Sullivan Le Postec, justifie par la volonté de mieux représenter cette minorité au sein de la minorité, souvent invisible. Mais en lui donnant le rôle du Candide au travers des yeux duquel on découvre la vie du Centre, le scénario n’échappe pas au complexe du «sauveur blanc», ce schéma narratif si fréquent au cinéma (notamment hollywoodien) suivant lequel les personnages blancs sont les véritables moteurs de l’action et viennent en aide aux personnages non-blancs.

Les Engagés peut ainsi se lire comme le récit d’Hicham et de sa sœur voilée, Nadjet, partie à sa recherche, qui découvrent la liberté (notamment sexuelle) au contact des Blanc-he-s… C’est particulièrement frappant dans une scène assez paternaliste où Murielle (la seule lesbienne de la websérie) fait découvrir Olympe de Gouges à Nadjet, qui n’en avait jamais entendu parler auparavant.

La non-mixité et l’outing aux orties

À travers ces personnages, la websérie permet d’aborder beaucoup de sujets et de débats, récents ou pour certains anciens mais toujours actuels, qui agitent le militantisme LGBT français. Certains (comme la PrEP, par exemple) sont rapidement survolés, ce qu’on peut comprendre étant donné la brièveté de chaque épisode.

Mais quelques secondes suffisent parfois à donner une vision caricaturale et simpliste de thématiques souvent complexes, décriées car mal comprises. Ainsi, la question de la non-mixité (pratiquée par certains mouvements féministes, lesbiens et/ou trans) est évacuée dès le premier épisode de la pire façon qui soit : une lesbienne (forcément) revêche et castratrice claque la porte du Point G au nez du pauvre Hicham, qui a eu le malheur de s’y présenter un soir de réunion non-mixte ! Les membres du Collectif lesbien lyonnais, qui ont eu le plus grand mal à faire accepter trois soirées en non-mixité par mois au sein du Centre LGBTI de Lyon (dont les locaux ont servi de décor lors du tournage), apprécieront…

Idem pour la question de l’outing, qui occupe une place importante tout au long de la websérie. Ne comptez pas sur Les Engagés pour vous rappelez l’historique de cette pratique, ses objectifs, ses règles ; bref, pour présenter un point de vue communautaire, celui des concerné-e-s, sur ce concept souvent décrié par le grand public… Dans la websérie, le débat ne se pose même pas : l’outing, c’est mal, point, et il faut être un enragé comme Thibaut, le jeune ambitieux chez qui Hicham a trouvé refuge, pour le défendre.

Un militantisme dépolitisé

Car c’est bien là l’autre gros point faible des Engagés : toute forme de militantisme qui dépasse un peu le stade des bons sentiments et qui vise une transformation politique de l’ensemble de la société y est systématiquement présentée comme extrémiste et contre-productive. Dans la série, cette position plus «radicale» est défendue par deux personnages : Claude, dépeint comme un vieux soixante-huitard attardé resté bloqué dans une autre époque et Thibaut, jeune homme extrêmement antipathique, égoïste, manipulateur et hypocrite, dont on apprend sur le tard que sa rage militante viendrait… d’un chagrin d’amour. Une «psychologisation» de sa colère (au détriment de causes sociales bien réelles comme l’homophobie) qui nous laisse dubitatif…

Reste qu’on est évidemment content-e-s de retrouver à l’écran quelques lieux bien connus de la vie gay lyonnaise : le Centre LGBTI de Lyon, principalement, où ont été tournés une grande partie des scènes, mais aussi le sauna Le Sun Lyon et le bar Le Cap Opéra (qui a depuis fermé ses portes). Les points faibles du scénario seront-ils corrigés dans une éventuelle deuxième saison ? Le projet, en tout cas, serait déjà dans les cartons.

 

Les Engagés
Sortie DVD jeudi 8 juin chez Optimale
Projection gratuite dans le cadre de la Quinzaine des Cultures LGBT, vendredi 23 juin à 20h30 au Centre LGBTI de Lyon, 19 rue des Capucins-Lyon 1 / 04.78.27.10.10

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