Pierre Maillet One Night with Holly Woodlawn © Bruno Geslin

Holly Woodlawn : Pierre Maillet adapte son autobiographie

Membre du collectif les Lucioles et artiste associé à la Comédie de Saint-Étienne, Pierre Maillet a monté des pièces de Copi, de Lee Hall ou des adaptations des films de Paul Morrissey ou de Fassbinder. Il explore aujourd’hui une figure de la Factory à travers le portrait de Holly Woodlawn, égérie trans d’Andy Warhol.

 

Holly Woodlawn © Jack Mitchell - Pierre MailletPourquoi avoir choisi d’adapter A Low Life in High Heels, l’autobiographie d’Holly Woodlawn au théâtre ?  

J’ai fait un spectacle il y a trois ans, qui s’appelait Little Joe, autour des trois films de Paul Morrissey, Flesh, Trash et Heat, qu’il a faits avec les membres de la Factory et je jouais déjà Holly Woodlawn dans la partie adaptée de Trash. Ce qui m’intéressait c’était la manière dont Morrissey a fait jouer aux gens de la Factory des choses qui étaient très proches d’eux. C’étaient de fortes personnalités mais aucun n’était véritablement acteur : en s’appuyant sur leur vie, Morrissey en a fait des personnages incroyables. J’ai beaucoup aimé joué Holly à l’époque. Elle proposait des choses extrêmement fantaisistes dans le film. Elle était brillante dans l’improvisation des dialogues. C’était une femme trans qui jouait le rôle d’une femme trans. Ça m’a poussé à m’intéresser à qui elle était dans la vie, aux interviews qu’elle avait données.

Et j’ai découvert qu’elle avait écrit une autobiographie inédite en France, A Low Life in High Heels, en gros « une vie de merde sur talons hauts », ce qui la définit plutôt très bien. En partant de cette matière première, j’ai tenté d’imaginer les spectacles qu’elle faisait elle, surtout durant les vingt dernières années de sa vie, à partir de ce qu’elle en disait mais aussi grâce à quelques traces audio de concerts pirates à Londres. J’ai découvert que c’était une sorte de cabaret, où elle chante plus ou moins bien de manière à la fois drôle et émouvante, entrecoupé de sketches ou d’extraits où elle raconte sa vie. Ça donne une forme extrêmement personnelle qui n’était peut-être pas loin de ce que pouvait faire également Divine.

En m’inspirant de son propre travail, j’ai donc pris le parti de faire une sorte de portrait, parlé et chanté, sous le titre One night with Holly Woodlawn. Parce que ce qui est intéressant avec elle, c’est qu’on ne peut la caser nulle part. Elle n’a fait attention à rien durant sa vie, elle aurait pu mourir mille fois, à cause de la drogue ou du sida. Ce qui est intéressant c’est son parcours, son rapport complexe à sa transidentité notamment, et son rapport à la vie. C’est un parcours exemplaire et généreux sur la façon dont on se construit. Avec sa part de hasard, parce qu’elle n’a pas cherché désespérément à rejoindre la Factory contrairement à Jackie Curtis et Candy Darling.  

 

« Mon rapport au politique, c’est souvent un rapport à la liberté, à travers des personnalités inclassables » 

 

Andy Warhol Factory - Pierre MailletVous l’avez rappelé, ce n’est pas la première fois que vous créez un spectacle autour de la Factory. Il y a déjà eu Little Joe. Qu’est-ce qui vous attire autour d’Andy Warhol et de ce groupe d’artistes ?  

C’est le rapport à la liberté. Ce qui me touche le plus chez Warhol, c’est la manière dont il a réussi à mêler des gens de la rue, des marginaux avec la jet-set la plus brillante du moment. Et la convergence des genres aussi, la musique, le cinéma, les arts plastiques. Et la façon dont les marginaux sont mis sur le devant de la scène, mais pas comme des bêtes de foire, afin de permettre à des gens qui n’ont pas ce mode de vie de s’intéresser à eux. Cette façon de mettre en avant des personnalités et des modes de vie qui nous touchent, encore aujourd’hui, parce qu’ils nous déplacent. Holly est politique parce qu’elle vit, tout simplement.  

 

Si on élargit cette question du politique à vos autres spectacles, ceux-ci tournent souvent autour des questions LGBT. S’agit-il pour vous d’un acte militant ?  

Oui, c’est politique mais parce que je m’intéresse aux gens. Par exemple dans le spectacle Letzlove, qui s’appuie sur un livre d’entretiens entre Michel Foucault et un jeune homme de vingt ans, je trouve intéressant que le portrait de Foucault se dessine à travers ce jeune homme. De même, à la Factory, Holly est loin d’être la plus connue, mais elle raconte quand même quelque chose, par la façon dont elle vit. Ça me touche beaucoup parce que ça laisse entendre que la marginalité n’est pas si marginale. Mon rapport au politique, c’est souvent un rapport à la liberté, à travers des personnalités inclassables.  

 

« Tester ça dans des lieux où les gens ont un rapport plus direct à la représentation, c’est important et passionnant » 

 

Ce souci de liberté, on le retrouve aussi dans la forme de vos spectacles que vous souhaitez faire sortir du théâtre. Et notamment vous aimeriez que One night with Holly Woodlawn soit joué dans des boîtes de nuit et des lieux alternatifs. Et à Lyon, vous allez le jouer au Lavoir public, ce qui n’est sans doute pas un hasard. Cette démarche est-elle aussi politique ? 

Oui. Parce que c’est une façon de décloisonner les disciplines et de mettre fin aux a priori. One night with Holly Woodlawn a été créé aux Plateaux Sauvages à Paris qui est un lieu alternatif qui vient d’ouvrir mais qui reste principalement un théâtre. Mais je suis très excité à l’idée de le jouer dans un lieu alternatif comme le Lavoir public parce que ça permet aux gens d’aller voir du théâtre alors qu’ils n’iraient pas forcément. Il y a quelque chose de la nuit, de lieux nocturnes que j’aime beaucoup et dont Holly faisait partie. C’est un pan d’histoire, du début des années 1960 à sa mort en 2015.

Il s’est passé tellement de choses autour des questions d’identités, de droits des personnes LGBT. Et sa façon à elle de parler de ces changements de manière apparemment innocente et festive, c’est beau de l’amener dans des lieux de fête. C’est aussi le témoignage d’une forme de cabaret qui n’existe plus vraiment, liée à une époque. C’est un peu suranné, la fascination de la génération d’Holly pour les actrices glamour des années 1930, Garbot, Dietrich … Investir des lieux nocturnes avec cette histoire-là du cabaret, ça fait sens. Mais avec également des éléments plus contemporains, parce qu’à travers Holly, je vais aussi parler un peu de moi dans ce spectacle. Ce n’est pas juste un biopic. Tester ça dans des lieux où les gens ont un rapport plus direct à la représentation, c’est important et passionnant. C’est un spectacle certes construit mais qui permet une certaine souplesse en fonction de ce qu’il se passe avec le public.  

 

andy warhol holly woodlawn pierre mailletPuisque vous nous dites qu’à travers Holly, vous allez aussi parler de vous, que va-t-on apprendre sur Pierre Maillet dans ce spectacle ?  

Il faut venir le voir ! C’est toujours délicat quand on s’empare d’une figure qui a existé. On n’est pas dans une reproduction parfaite. Ce qui me touche chez Holly, c’est qu’il y a un rapport à la transformation et à la construction de soi que je rencontre dans mon travail d’acteur. Être acteur, c’est se permettre de vivre plusieurs vies et Holly s’est transformée toute sa vie, a beaucoup muté.  

 

Pour finir, quels sont vos projets à venir ? Y a-t-il des choses dont vous pouvez nous parler ?  

Après One night with Holly Woodlawn, je vais monter trois films de Fassbinder. Je vais adapter trois films qui font partie de sa période cinématographique que j’adore où il s’est inspiré des mélos à la Douglas Sirk. Ce sera un hommage à l’œuvre mais surtout à la façon dont il travaillait, une quarantaine de films en dix ans, cette profusion. J’en ai déjà monté beaucoup mais j’ai toujours été frustré de n’en monter qu’un à la fois, parce que ce qui est magnifique c’est l’ensemble. Et là, je me lance dans ce projet fou d’adapter Le Droit du plus fort, Maman sters s’en va au ciel et Tous les autres s’appellent Ali qui ont vraiment à voir les uns avec les autres dans la trame et qui entretiennent un rapport assez complexe aux minorités. Le spectacle s’appellera Le Bonheur (n’est pas toujours drôle) et sera joué à la Comédie de Saint-Étienne du 5 au 7 février 2019.  

 

One Night with Holly Woodlawn, du 14 au 15 octobre 2020 aux Cordeliers, 4 place Jules Nadi-Romans-sur-Isère / www.ville-romans.fr

 

 

 

© Bruno Geslin

© Jack Mitchell

© Andy Warhol

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