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Erotic Market défend “Queendoms” sur scène

Il y a un an, l’artiste lyonnaise Erotic Market sortait son deuxième album, Queendoms. Elle sera ce mois-ci au Périscope pour une des dernières dates de sa tournée. Rencontre avec une musicienne sincère qui nous parle de création et d’évolution artistique, de féminisme et de sexisme. 


Pouvez-vous nous présenter vos 
« reinaumes », vos  « queendoms » ? 
À la base, j’aurais préféré appeler ça queensdoms, « les territoires des reines » parce qu’en tant que femme, j’aime bien quand on parle des femmes et non de la femme. Mais c’était un peu alambiqué au niveau de l’anglais donc je me suis contentée de queendoms. Les territoires de la reine sont multiples : d’abord son corps, son âme, son esprit, son travail. Partout où elle passe, c’est son territoire. Sa famille, si elle en veut une, son couple, si elle en veut un. C’est une topographie extrêmement personnelle qui s’étend là où tu veux l’étendre. Si tu décides que c’est ton royaume, c’est ton royaume. Un point c’est tout. Pour le corps c’est une évidence, pour le reste un peu moins. Même pour le corps, ce n’est pas si évident que ça en fait, de s’appartenir, en tant que femme. 


Est-ce votre album le plus personnel ? 
 
Quand il est sorti il y a un an, je disais oui. Et là, je suis sur l’écriture d’un autre album et je dirais que c’est celui qui arrive. 


Queendoms
 se définit-il comme un album féministe ? 
Oui… je pense…. Il n’y a pas à couper les cheveux en quatre. Si on parle du corps, des femmes, de l’acceptation de soi… Oui… oui, c’est complètement féministe. 

 

 « Depuis quand être féministe c’est être contre les hommes ? » 

 

Vous semblez hésiter. Certain·es artistes sont mal à l’aise de porter l’étendard féministe… 
Oui, parce qu’on n’a pas envie de tomber dans des clichés. Lorsque vous m’avez posé la question,  j’ai voulu répondre : « Oui, c’est féministe mais ce n’est pas anti-homme ». Mais évidemment, ça ne sert à rien de le rajouter. Depuis quand être féministe c’est être contre les hommes ? 

 

Ressentez-vous dans votre milieu professionnel – celui des musiques actuelles – du sexisme ? 
J’ai eu une expérience très inégalitaire. Lorsque j’étais enceinte. Je faisais partie d’un autre group –  parce que j’aime bien avoir d’autres expériences – et on m’a dit : « Super, une femme enceinte c’est magnifique, y’a pas de soucis ». Et lorsque j’ai été réellement en cloque, bien bien ronde, effectivement un peu ralentie dans mes mouvements mais avec une pêche de ouf, parce qu’en général, sur le deuxième trimestre, certaines femmes ont beaucoup d’énergie, bref, ils m’ont dit qu’ils aimeraient bien que je parte avant. Le choc. « Parce qu’on pense que c’est mieux pour toi. » Ben pourquoi ? Tu penses pour moi ? Moi je me sens en pleine forme. C’est le seul vrai exemple fragrant d’inégalité scandaleuse. 

 

Et dans l’accueil qu’on vous réserve dans les salles, on ne vous fait jamais sentir qu’une femme ne sait pas brancher un micro ? 
Effectivement, ça peut être un quotidien pour certaines. Il y en a qui sont toujours là pour tout vous expliquer, le fameux mansplaining. Mais pas plus que dans d’autres milieux il me semble…. Et puis je suis un peu « protégée » en tant que chanteuse. On a un statut à part, on ne va pas avoir des réflexions du genre : « Oh tu joues comme un bonhomme ». Il y a beaucoup de fantasmes projetés sur la chanteuse, nous sommes plutôt comme des muses. 


C
e qui est une forme de sexisme aussi ! 
Tout à fait. D’ailleurs, quand j’arrive dans une salle, je mets tout de suite les choses au clair. Je ne fais pas la bise, aux hommes comme aux femmes. Je ne vois pas pourquoi tu sers la main à mon batteur et à moi tu ferais la bise. Ca instaure tout de suite un rapport d’égal à égal. Certains sont déstabilisés et forcent même le passage pour te faire la bise. Super, génial, j’adore. 

 

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Quelles femmes éclairent votre parcours d’artiste ?
 
Je suis une très grande admiratrice d’Erykah Badou, une chanteuse qui a émergé dans la fin des années 90 avec le mouvement de neo-soul. C’est une femme – j’adore sa musique, ça me touche en plein cœur – qui a eu trois enfants de trois hommes différents, qui est aussi sage-femme et qui a toute une vision de la vie que je partage et à laquelle j’ai aujourd’hui accès via son Instagram. 

Je vais aussi citer ma mère, qui assure quand même, même si parfois elle me fait péter un câble. Y’en a tellement de femmes qui m’inspirent… toutes mes amies chanteuses qui sont déterminées, je pense à Billie, à Karimouche, à Carmen Maria Véga, à Flore. On a toutes des parcours différents plus ou moins faciles. C’est beau de voir cette détermination. Toutes les femmes que je croise ont des parcours hallucinants semés d’acceptation de soi, de leur corps… 

Et j’oublie ma fille ! Ce n’est pas une femme, c’est une fille, une femme en devenir. Elle m’apprend tous les jours, il faut que je la cite ! 

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Vous av
ez flirté par le passé avec la communauté LGBT, vous avez été notamment invitée par le festival Intérieur Queer. Quel regard portez-vous sur cette communauté et ses combats ? 
J’espère ne pas dire de connerie mais c’est le même regard que je porte sur la communauté afro-féministe. Je suis à fond, je soutiens, je suis là si vous avez besoin. Mais en fait ce sont aussi des combats qui ne m’appartiennent pas puisque je suis une femme hétérosexuelle. J’ai lu une citation qui disait : « tu n’es pas obligé de porter la parole des autres, tu peux juste passer le micro ». C’est une très belle image. Je ne suis pas vous, je ne peux pas parler pour vous. Parce que je pourrais dire des conneries. Mais je suis carrément là si vous avez besoin de moi. 


Si les
 personnes LGBT s’intéressent à vous, c’est qu’il doit y avoir quelques combats en commun 
Oui, l’acceptation de qui on est, de son corps, de sa liberté de penser, d’agir, de sa liberté sexuelle, la danse, la fête. 


Qu
eendoms est sorti il y a un an et vous êtes aujourd’hui sur vos dernières dates. Comment vit un album ? Comment évolue une tournée ? 
On a toujours l’impression que ce qu’on vient de sortir est extrêmement viscéral et extrêmement personnel parce que c’est comme un accouchement (j’ai vécu l’accouchement aussi !) C’est le même processus : ce qui sort est hyper fort, c’est une délivrance. Quand on commence à entrer dans une phase de répétitions, à devoir jouer plus ou moins la même chose, on se rend compte qu’on évolue très vite. Il y a beaucoup de décalage entre le moment où un album sort et le moment où il a été écrit. Et lorsqu’on l’interprète sur scène, c’est déjà en décalage avec ce qu’on est. J’ai l’impression d’être déjà ailleurs car humainement je suis déjà ailleurs. Je suis tout le temps en changement, on est tout le temps en train de changer. Cet album est un moi d’il y a deux ans. Il faut quand même le défendre sur scène. Mais comme c’est une partie de moi, aucun problème pour l’assumer. 

 

« Je ne veux plus que mon bien-être financier soit lié de si près à ma créativité. Je trouve que c’est malsain et émotionnellement trop dur. » 

 


erotic market © Rama TaupiaVotre son 
évolue, depuis vos premiers morceaux il y a six ans et va encore évoluer. Vous écrivez un nouvel album ? 
Comme nous sommes un peu des têtes de mules les artistes, on va a un endroit et finalement non, on change d’endroit. Je ne supporte pas de me répéter. Je déteste la redondance. Je vais aujourd’hui revenir, à mes débuts, un peu plus bruts, moins dansants, plus émotionnels. 


Vous êtes accompagnée par une structure ? Un label ? 
J’ai quitté mon dernier label parce que ça ne marchait plus entre nous. Je suis en complète autonomie. Je ne veux plus être avec qui que ce soit pour le moment. C’est compliqué. Je n’ai de griefs contre personne. Mais il y a un truc qui ne marche pas entre ce que tu veux toi et les fantasmes de ta structure. Sur la diffusion notamment. J’ai toujours été très aidée financièrement et j’en remercie mes deux labels. Mais il y a quelque chose qui ne va pas exactement comme je le voudrais. Quels médias toucher ? Comment ? Et au final, est-ce qu’on a envie de toucher les médias ? Lesquels ? Je ne sais pas…


Quelles sont vos volontés ? Que souhaitez-vous ?
 
J’avais envie de faire les Nuits de Fourvière cette année parce que Queendoms peut être un délire mégalo. J’ai été programmée en première partie de MC Solaar. On a échangé deux mots, il ne savait pas qui j’étais, il n’a pas vu mon concert. Humainement, c’était naze, le pire du pire. Cette année, je me suis posée la question de ce que je veux faire avec cette musique, où je vais et ce qui m’anime. Je ne me suis pas totalement éclatée sur scène cette année. Je me suis plus éclatée à écrire, à composer de la musique. Je me suis dit aussi qu’il fallait que je détache mes revenus de ma passion qui est d’écrire des chansons. Je ne veux plus que mon bien-être financier soit lié de si près à ma créativité. Je trouve que c’est malsain et émotionnellement trop dur. Avec la musique, je veux aujourd’hui faire mes petites chansons, faire plaisir aux gens à qui ça fait plaisir. C’est devenu extrêmement peu ambitieux comme entreprise mais ça va mieux. Je me sens mieux comme ça. 

 

Erotic Market, le jeudi 7 novembre au Périscope, 13 rue Delandine – Lyon 2

Gagnez 2×2 places en envoyant votre prénom+nom à redaction@heteroclite.org (Objet : Erotic Market)

 

© Erotic Market – Rama Taupia

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