Poulpes et nounours

Une déambulation à travers des fous du yoyo, des nounours lubriques et autres quinquas travestis en poupées ; c’est une proposition de Karelle Prugnaud aux Subsistances.

Pendant le week-end d’octobre des Subsistances, vous avez peut-être croisé Karelle Prugnaud, juchée sur de hauts talons, tenant deux caniches en laisse. Deux adorables petits chiens blancs qui figuraient, dans sa pièce La Brûlure du regard, les chiens qui dévorent Actéon, ce chasseur de la mythologie grecque changé en cerf après avoir surpris Artémis dans son bain. La metteur en scène était alors à la recherche de poulpes frais pour Kawaï Hentaï, le spectacle qu’elle présente du 5 au 10 février. Du caniche au poulpe et de la mythologie grecque à l’univers des mangas, il n’y a que quelques pas, que franchit avec énergie Karelle Prugnaud. L’une des plus atypiques artistes de la scène contemporaine travaille dans ses pièces la chair et les mythes, la culture pop et les fantasmes de nos sociétés. Elle explique être interpellée, dans la légende d’Actéon comme dans les mangas, par les récits de métamorphose, par les thèmes du masque et du costume. Elle a donc étudié assidûment la “culture manga“ dans tout ce qu’elle peut avoir de fulgurant et de régressif, pour nous parler du corps, de ses transformations, de nos fantasmes. Les kawaï et les hentaï sont un peu comme les deux faces d’une même pièce, d’une même obsession pour les personnages de fiction comme moyens d’échapper à soi-même, au temps et à la géographie. Le mot japonais kawaï signifie mignon, gentil et désigne notamment des héros de dessins animés tels que Pikachu, Hello Kitty, généralement représentés avec des grands yeux, des petites bouches et des expressions enfantines. Hentaï pourrait être traduit à la fois par trash, pervers mais aussi par transformation, métamorphose. Ce mot qualifie plus particulièrement les bandes dessinées pornographiques dans lesquelles des jeunes hommes et jeunes femmes ont des rapports sexuels plus ou moins consentis avec des créatures gluantes et invertébrées.

Les fantômes ont-ils des corps ?

Karelle Prugnaud s’est entourée d’une équipe d’artistes de tous horizons, dont plusieurs circassiens, pour créer une espèce de train fantôme, de déambulation à travers cet imaginaire si riche et incongru. Au hasard, on croisera un obsédé virtuose du yoyo, une contorsionniste recouverte de poulpes (nous y voilà !), un nounours lubrique qui posera son masque pour laisser apparaître un chippendale ou encore des dollers, soit cinq quinquagénaires travestis en poupées. Entre le freakshow et la boîte à fantasmes, ce parcours doit interroger, selon sa conceptrice, notre difficulté à accepter nos corps sensibles, vieillissants et limités. C’était déjà manifeste dans La Brûlure du regard, Karelle Prugnaud aime montrer des corps de chair, et ainsi «revenir à l’humain, au temps». En proposant cette «cérémonie de la métamorphose», ainsi qu’elle qualifie elle-même Kawaï Hentaï, l’artiste entreprend aussi une véritable réflexion sur la puissance de séduction du virtuel, aussi bien dans sa traduction fétichiste que technologique (voir Second life) et sur la solitude qui attend toujours, comme un couperet, tous les nounours, poupées, super-héros ou avatars de jeux vidéos, lorsqu’ils reposent leurs masques avant d’aller se coucher.

Manga² : programme

Il sera aussi question de nounours dans la pièce du chorégraphe Jeremy Wade, There is no end to more. L’artiste berlinois d’origine new-yorkaise entend explorer dans cette pièce l’esthétique régressive des kawaï, en ce qu’elle divertit d’une société traditionnelle obnubilée par la consommation et rongée par le stress.

There is no end to more, de Jeremy Wade, du 5 au 10 février à 21h
Kawaï Hentaï, de Karelle Prugnaud, du 5 au 10 février à 19h30
Aux Subsistances, 8 bis quai Saint-Vincent-Lyon 1 / 04.78.39.10.02

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