Psychanalyse et homosexualité : divan pour tous

La psychanalyse est régulièrement accusée d’entretenir des représentations rétrogrades de l’homosexualité. Certains estiment pourtant que la pensée de Freud est porteuse d’un discours émancipateur.

 

psychanalyse homosexualité freud hétéroclite Ce fut certainement l’événement éditorial du printemps 2010 : Le Crépuscule d’une idole – L’Affabulation freudienne (Grasset, 2010) est un essai de plus de six cents pages signé par le philosophe iconoclaste Michel Onfray qui passe au kärcher la figure du père de la psychanalyse, l’Autrichien Sigmund Freud (1856-1939). Parmi les multiples reproches adressés par Onfray au célèbre Viennois et à la discipline qu’il a fondée figure l’accusation d’homophobie. Il est vrai que la psychanalyse et Freud lui-même ont souvent été convoqués pour étayer des visions pour le moins dépréciatives de l’homosexualité. Le Père Tony Anatrella s’appuyait ainsi sur son expérience de psychanalyste pour déclarer en octobre 2005, que «l’homosexualité apparaît comme un inachèvement et une immaturité foncière de la sexualité humaine». Plus récemment, en mai 2009, le théologien musulman Tariq Ramadan estimait sur son blog que «pour toutes [l]es traditions [religieuses], comme c’était d’ailleurs le cas pour Freud (qui parle de «perversion»), l’homosexualité est considérée comme «contre-nature», «l’expression d’un déséquilibre» dans l’évolution de la personne et […] est moralement condamnée pour cela». Enfin, le député du Nord Christian Vanneste affirmait, en avril 2009, que «l’homosexualité est liée, tous les psychanalystes le savent, à une forme de narcissisme» avant d’expliquer que l’homosexualité constitue, du point de vue de la psychanalyse, «une erreur de parcours du développement de la personnalité sexuelle». Pour tous ceux qui s’abritent derrière Freud pour justifier leur homophobie comme pour tous ceux qui accusent Freud d’être homophobe, la cause semble donc entendue : la psychanalyse considère l’homosexualité comme une déviance de la norme hétérosexuelle, une «inversion» en lien avec une forme de narcissisme, voire de paranoïa.

«Conservateurs» vs «émancipateurs»
Pourtant, le constat mérite d’être nuancé. Onfray lui-même rappelle ainsi qu’«en 1897, [Freud] aurait même signé une pétition […]appelant à abroger un article du Code Pénal allemand qui réprimait l’homosexualité masculine» (il s’agit du paragraphe 175, en vigueur de 1871 à 1994 et qui permit l’internement dans des camps de concentration de plusieurs milliers d’homosexuels allemands durant la période nazie). Freud fera ensuite preuve de la même attitude compréhensive envers sa «fille chérie» Anna, qui était elle-même très probablement lesbienne. Pour sa part, la psychanalyste française Élisabeth Roudinesco (elle-même farouche partisane des droits des personnes LGBT) estime que «la psychanalyse ne peut être homophobe», même si elle reconnaît que l’homophobie est encore présente parmi ses confrères. Pour elle, Freud «franchit un grand pas en refusant de classer [l’homosexualité] parmi les “tares” ou les “anomalies” de la sexualité, comme le faisaient les sexologues de son temps. Il ne considère pas que les homosexuels commettent des “actes contre nature”. Il refuse toute forme de stigmatisation fondée sur la notion de “dégénérescence“» (Cliniques méditerranéennes, février 2002). En vérité, il paraît difficile de porter un avis tranché et sans appel sur les rapports complexes qu’entretiennent psychanalyse et homosexualité tant les interprétations divergent selon les époques, les écoles, et les psychanalystes eux-mêmes. Notons tout de même que certains d’entre eux ont le mérite de croire encore aux vertus émancipatrices de leur discipline : Roudinesco déclarait ainsi, en mars 2002, lors d’un entretien dans L’Humanité que «la psychanalyse doit favoriser la liberté, et non pas la terreur du changement».

Illustration : © Vergine Keaton

Rencontre avec la psychanalyste Élisabeth Roudinesco autour de son ouvrage Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre (éditions du Seuil) à l’Institution des Chartreux, 58 rue Pierre Dupont-Lyon 1 / 04.78.27.02.48 / www.villagillet.net

 

 

Freud dans le texte
Au tournant des XIXe et XXe siècles, les recherches scientifiques sur la sexualité humaine sont en plein essor dans le monde universitaire et intellectuel germanophone. Les travaux de Freud sont ainsi contemporains de ceux de Magnus Hirschfeld (sexologue et ardent défenseur des droits des homosexuels) ou de Richard von Krafft-Ebing (à qui l’on doit l’invention du terme «sadomasochisme»). C’est dans ce contexte de forte émulation intellectuelle que Freud écrit Trois essais sur la théorie sexuelle, qui paraît pour la première fois en 1905 et qui sera sans cesse remanié par la suite, preuve que la pensée de son auteur sur le sujet n’a rien de figé. Il y affirme que chacun d’entre nous présente dans la petite enfance des prédispositions bisexuelles, d’où découle ensuite notre hétéro- ou notre homosexualité. Cette dernière est présentée comme une sorte d’«accident de parcours» dans le développement «normal» (comprendre : hétérosexuel) de la sexualité infantile. Freud se penche également sur le cas du «président Schreber», un magistrat allemand atteint de délires et d’hallucinations et attribue la paranoïa dont il souffre à son homosexualité supposée (Cinq psychanalyses, 1909). En 1920, il s’intéresse cette fois au lesbianisme dans Sur la psychogénèse d’un cas d’homosexualité féminine, à partir du cas d’une jeune fille que ses parents souhaitaient «guérir» de son attirance pour les femmes. Sur ce cas comme sur d’autres, Freud semble avoir émis de sérieuses réserves quant à l’efficacité des traitements destinés à modifier l’orientation sexuelle des patients et ne saurait donc être tenu responsable des thérapies médicales plus ou moins barbares (électrochocs, etc.) expérimentées sur des homosexuels au cours du XXe siècle dans l’espoir d’en faire des hétérosexuels, puisqu’il estime que «la psychanalyse n’est pas appelée à résoudre le problème de l’homosexualité». Pour lui, celle-ci n’a pas une cause unique mais elle trouve son origine dans une pluralité de facteurs, aussi bien biologiques, physiologiques que psychologiques : il ne tranche donc pas de façon catégorique l’éternel débat autour de la question de savoir si elle est innée ou acquise. Autre pièce importante à apporter au dossier : une lettre qu’il écrivit en 1935, quatre ans avant sa mort, à une mère qui s’inquiétait de l’homosexualité de son fils et dans laquelle il estime que l’homosexualité n’est «ni un vice, ni dégradante», qu’«elle n’est pas une maladie», et que sa criminalisation est «une grande injustice» ; il rappelle enfin que plusieurs «grands hommes» tels que «Platon, Michel-Ange, Léonard de Vinci, etc.» étaient homosexuels.

 

À lire, de Sigmund Freud :
Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1989
Cinq psychanalyses, PUF, 2008
Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine, in Névrose, psychose et perversion, PUF, 1985

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.