De Radio Mauve à Fréquence Gaie, l’aventure des radios homosexuelles

Retour sur l’aventure des radios homosexuelles, de la clandestinité jusqu’aux podcasts en passant par les émissions dédiées.

Nous sommes en 1978 après Jésus-Christ. Contre toute attente, la gauche vient de se gameller aux législatives et toute la France est ensuquée par l’ordre moral barro-giscardien. Toute ? Non ! Dans la cuisine de son appartement montmartrois, rue Cauchois, le dessinateur et dramaturge argentin Copi, figure majeure du milieu homosexuel parisien de l’époque, résiste encore et toujours aux assauts du conservatisme hétéro-patriarcal. Son arme ? Un petit studio clandestin, depuis lequel émet l’une des premières radios homosexuelles de France…

Une histoire née dans la clandestinité

Copi n’est pas seul dans sa démarche. Quelques mois plus tôt, à l’occasion du deuxième festival du film homosexuel (qui s’est tenu au cinéma parisien La Pagode du 16 au 31 janvier 1978), une poignée de bidouilleurs des ondes a décidé de briser le monopole de Radio France, qui perdure malgré le démantèlement, en 1974, de l’Office de Radiodiffusion-Télévision Française (ORTF). Radio Mauve est née et deviendra deux mois plus tard Radio Fil Rose. Nous sommes alors en pleine campagne électorale pour ces fameuses législatives perdues par la gauche. Des militants gays, comme Jean Le Bitoux, se présentent dans les circonscriptions de la capitale pour porter les revendications des homosexuels, notamment la fin de la répression policière, mais ils ne bénéficient évidemment que d’un accès très limité aux médias. Radio Fil Rose va briser cet embargo médiatique en retransmettant, en toute illégalité bien sûr, leur conférence de presse.

En 1978, par la force des choses, l’existence d’une radio homosexuelle est nécessairement militante et politique. Gai Pied, le premier journal gay français diffusé en kiosques, ne sera fondé (par ce même Jean Le Bitoux) que l’année suivante. Autant dire que, même si elle ne touchait que le microcosme homosexuel parisien, Radio Fil Rose était l’un des touts premiers médias gays français. Pour tous ceux qui n’osaient pas fréquenter les lieux gays ni même acheter Gai Pied auprès du marchand de journaux de peur d’être reconnu, la radio devient un compagnon indispensable qui permet de garder un lien avec la communauté sans sortir de chez soi et sans risquer d’être exposé.

Des radios homosexuelles pirates aux radios homosexuelles libres

L’expérience prendra fin dès l’été suivant, en partie à cause des difficultés liées à la clandestinité et au brouillage organisé par les autorités pour dissuader les pirates des ondes. Mais elle aura été séminale, car elle inspirera notamment les fondateurs d’une autre radio, plus pérenne : Fréquence Gaie.

En 1981, le nouveau président François Mitterrand engage, comme il l’avait promis, la libéralisation de la bande FM. L’association Fréquence Gaie est fondée durant l’été et diffuse sa première émission à la rentrée de septembre. À partir de la fin des années 80, Fréquence Gaie entame un virage éditorial complet, change de nom et devient Future Génération, puis Radio FG. Sa dimension homosexuelle est progressivement gommée et la très prisée émission de petites annonces (Double Face), durant laquelle les auditeurs étaient invités à se présenter et à décrire leurs préférences sexuelles (avec des reporters envoyés à leur domicile pour vérifier l’exactitude de leurs dires, notamment certaines mensurations intimes !) disparaît. Radio FG se concentre alors sur les musiques techno et électroniques, à une époque où celles-ci souffrent encore d’une très mauvaise image.

Mais les questions d’homosexualité (élargies à celles tournant autour du genre) ne disparaissent pas totalement de la bande FM, grâce surtout aux radios associatives et militantes. À Lyon, Radio Canut porte haut le flambeau des luttes queer avec Lilith, Martine et les autres, émission féministe, et On n’est pas des cadeaux, émission «transgouinepédé» (et forcément féministe également). À Grenoble, Radio Kaléidoscope héberge Cas Libre, une émission de libre antenne où les auditeurs peuvent librement parler de leurs fantasmes et de leur sexualité pour mieux les réfléchir et les interroger. Au même titre que la presse, la télévision ou Internet, la radio demeure donc un acteur médiatique essentiel de la visibilité homosexuelle.

 

 

Restez à l’écoute

On n’est pas des cadeaux ! et Lilith, Martine et les autres, en alternance un vendredi sur deux de 17h à 18h sur Radio Canut (102.2), à Lyon et dans ses alentours.
Cas Libre, le jeudi de 20h à 21h sur Radio Kaleidoscope (97.0), à Grenoble et dans ses alentours.

 

 

Illustration © Vergine Keaton

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