Dominique Fernandez exhume un roman gay inédit de son père

La parution de Philippe Sauveur, roman inédit de Ramon Fernandez (1894-1944) éclaire d’un jour nouveau l’itinéraire de cet écrivain collaborationniste.

Que sait-on de la littérature homosexuelle d’avant Proust ? Rien, ou si peu. Un nom ou deux peut-être : le mondain Jean Lorrain, le Belge Georges Eekhoud… Mais qui a lu Monsieur de Phocas ou Escal-Vigor, ces romans du tournant du siècle sur les amours masculines et pédérastiques ? S’y est-on jamais intéressé d’ailleurs, sinon avec une certaine condescendance pour ce mouvement de la littérature décadente et son lyrisme désuet ? Des éditeurs courageux et curieux (Patrick Cardon et ses GayKitschCamp bien sûr, mais aussi Quinte-Feuilles) ont certes entrepris de rééditer certains de ces auteurs oubliés, comme Achille Essebac (Dédé, 1901), Luis d’Herdy (Monsieur Antinoüs et Madame Sapho, 1899) ou Jacques d’Adeswald-Fersen (Messes noires. Lord Lyllian, 1905), mais on ne s’y était guère précipités jusqu’alors.

Quête du père

Et voilà que la découverte d’un inédit vient donner envie de s’y plonger jusqu’au cou, de combler ce manque béant qu’une longue et passionnante préface de Dominique Fernandez ne fait que souligner. L’académicien, qui a tant écrit sur l’histoire de l’homosexualité, est en effet à l’origine de la parution de ce Philippe Sauveur inachevé et longtemps considéré comme perdu, écrit entre 1912 et 1917 par son propre père, Ramon Fernandez. Intellectuel brillant, dandy, homme à femmes, proche ami de Proust, Ramon Fernandez n’est resté dans les mémoires qu’en raison de son ralliement au nazisme dès 1937 : tragique parcours retracé par Dominique Fernandez dans une époustouflante biographie, Ramon.

La parution de Philippe Sauveur — la liaison entre deux jeunes hommes — permet à Dominique Fernandez de compléter ce portrait de son père en lui ajoutant une ambiguïté sexuelle inattendue. Car comment expliquer qu’il se soit lancé dans un roman à thématique homosexuelle en un temps où c’était si rare, et alors même que «c’était une règle pour ainsi dire absolue, qu’on ne pouvait s’intéresser aux homosexuels sans l’être soi-même». Et l’écrivain de conclure : «cette règle : un roman gay ne peut être que l’œuvre d’un gay, a perduré durant tout le XXe siècle, et je ne pense pas qu’elle soit caduque aujourd’hui».

 

Philippe Sauveur de Ramon Fernandez (Grasset)
Dédé d’Achille Essebac (Quinte-Feuilles)
Monsieur Antinoüs et Madame Sapho de Luis d’Herdy (GayKitschCamp)
Messes noires. Lord Lyllian de Jacques d’Adeswald-Fersen (GayKitschCamp)

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