
Still standing : les établissements LGBT+ face au Covid
Alors que des pans entiers de l’économie s’apprêtent tant bien que mal à reprendre leur activité et que la campagne de vaccination laisse entrevoir un fragile espoir de sortie de la pandémie, nous avons eu envie d’interroger quelques actrices et acteurs de la vie LGBT+ à Lyon, Grenoble et Saint-Étienne sur la façon dont ils avaient vécu cette année en enfer.
Patron·nes de bar, de boîte ou de sauna, restauratrices, organisateurs ou organisatrices de soirées, ils nous ont dit leurs difficultés, mais aussi le soutien et la fidélité indéfectibles de leur clientèle. Preuve peut-être que ces lieux de sociabilité communautaires, plus encore que d’autres, sont bien “essentiels” pour une part non-négligeable de la population LGBT+. Still standing !
Bars / Restaurants
Émilie Andrieux – L Bar, 19 rue du Garet-Lyon 1
“Je tiens le L Bar depuis dix ans et j’ai toujours eu le projet d’acheter le local juste à côté, afin de pouvoir m’agrandir. Ce que j’ai fait, juste avant le premier confinement… Ça a évidemment compliqué les choses, puisque j’avais désormais deux loyers à payer. J’ai profité de cet arrêt forcé pour faire des travaux. J’ai désormais un établissement tout neuf, plus beau, plus propre, qui propose de la restauration à base de produits frais le midi et des alcools le soir ! Il y a aussi eu du positif dans cette période : avec ma compagne, nous avons eu deux petites filles en mai 2020. Et on a été très touchées par les nombreux messages de soutien de nos clientes. Comme elles, on a hâte de reprendre les soirées. Il faut tenir, parce que la nécessité d’un bar lesbien à Lyon est bien réelle.”
Frédéric Polsinelli – XS Bar, 19 rue Claudia-Lyon 2
“Quand on a rouvert la terrasse, mercredi 19 mai, j’en ai pleuré d’émotion. Je ne pensais pas que reprendre le travail pouvait me mettre dans un tel état ! Comme tous les commerces, on a connu cette année une perte sèche très importante. Les assureurs n’ont pas joué le jeu, les régies non plus. En ce moment, je tente de négocier un mois ou deux d’exonération de loyer avec la mienne… Cela dit, j’ai la chance d’avoir ouvert le XS il y a dix ans ; il me reste donc peu de crédits à payer aujourd’hui. Mais les conséquences de la crise ne sont pas que financières : elles sont aussi humaines, psychologiques… Au début, certains serveurs avaient peur de revenir travailler. Chacun a vécu cette période compliquée différemment. Mais l’accueil qu’on a reçu de notre clientèle à la réouverture nous a fait chaud au cœur.
Laurence Girola – Drôle de zèbre, 6 rue de Cuire-Lyon 4
“Honnêtement, je ne peux pas trop me plaindre : ayant ouvert il y a huit ans, je n’ai plus de crédit, plus de salarié, un petit loyer, donc des charges fixes minimes. En plus, les aides de l’État étaient calculées en fonction du chiffre d’affaires de 2019, qui a été ma meilleure année… Le plus dur, ça n’a pas été les finances, mais le mental. Pendant la fermeture, je me suis reconvertie en correctrice : ça a fait travailler mes méninges et m’a empêchée de tourner en rond. J’en ai aussi profité pour refaire l’intérieur du bar, les banquettes, la peinture, la déco, etc. Pour l’instant, j’ai repris doucement, en ouvrant les soirs en semaine (sauf lundi et mardi) et toute la journée le week-end. Moins travailler, j’y ai pris goût. Du coup, je ne suis pas certaine de vouloir revenir au “monde d’avant”…”.
Mams – Le Before B4, 44 rue de la Résistance-Saint-Étienne
“Ce qui m’a fait le plus peur, durant cette période, c’est l’isolement, la solitude, au sein de la communauté. En tant que seul bar LGBT+ de Saint-Étienne, le B4 est un point d’ancrage pour de nombreuses personnes. Avec les associations stéphanoises (Le Refuge, Démineurs, Triangle rose, Face à Face, TransAide…), on a pu en accompagner quelques-unes pour lesquelles cette année a été particulièrement compliquée. On a également récolté des fondsà l’occasion du Sidaction. J’ai bénéficié d’aides de l’État, qui n’ont pas comblé les pertes mais étaient néanmoins bienvenues. J’ai aussi la chance d’avoir une clientèle fidèle, qui m’a suivi et soutenu, tout comme la municipalité stéphanoise, qui est très à l’écoute sur les questions LGBT+. Avec tout ça, je me sens prêt pour ouvrir bientôt un sauna pour hommes à Saint-Étienne, le H2O.”
Sophie et Christiane – Le Café noir, 68 cours Jean Jaurès-Grenoble
“Pour nous, c’était important de proposer de la vente à emporter le midi ces derniers mois : cela nous a permis de garder une activité professionnelle, une raison de se lever tous les matins et surtout un lien avec nos habitué·es, qui étaient bien content·es de nous retrouver, même si, avec le télétravail, nous avons perdu une partie de notre clientèle de bureau. Ce qu’on espère, maintenant, c’est reprendre les soirées, parce que ça fait plus d’un an qu’on n’en a pas fait. Mais notre priorité, c’est de respecter strictement les consignes sanitaires : fermeture à 20h30, pas de service au comptoir, etc. On est toutes les deux vaccinées et on ne veut surtout pas jouer avec le feu. Ça ne sert à rien d’outrepasser les règles, car on finit toujours par se faire prendre. Notre plus grande peur, c’est que les gens fassent n’importe quoi et que l’épidémie redémarre.”
Magali Chirat et Dominica Santarelli – L’Alter Ego, 42 rue Franklin – Lyon 2
“Pendant ces longs mois de fermeture, nous avons proposé du click and collect, mais ça a eu du mal à décoller. Nous sommes un restaurant de spécialités savoyardes, et la fondue ou la raclette à emporter ne sont pas encore entrées dans les mœurs… Nos plats sont faits pour être mangés à plusieurs, et c’est compliqué quand on ne peut pas recevoir chez soi ! Et puis, il faut bien dire aussi que les plateformes de livraison comme Deliveroo ou UberEats prennent des commissions énormes, de l’ordre de 30 % du prix. Aujourd’hui, tout en conservant les incontournables, on a fait évoluer un peu notre carte, pour travailler en flux tendu et ne plus se retrouver, comme lors du premier confinement, avec des stocks d’ingrédients à jeter en cas de nouvelle fermeture. On a aussi ouvert un deuxième restaurant en novembre 2019 et on espère pouvoir enfin le faire tourner”.
Sauna
Bernard Lhuiller – Le Double Side, 8 rue Constantine-Lyon 1
“Évidemment, on a perdu beaucoup d’argent, mais quelle entreprise n’a pas été touchée ? Et puis, il faut être réaliste : il y a plein de pays où les boîtes ne bénéficient d’aucune aide des pouvoirs publics. Celles qu’on a reçues de l’État (et aussi un peu de la Région) ne couvrent pas la totalité de nos frais fixes, mais ce n’est pas rien. On a pu mettre les employés au chômage partiel, on a pioché dans la trésorerie, on a souscrit aux prêts garantis par l’État. On n’est pas les plus mal lotis, et on a moins souffert que d’autres, comme les boîtes de nuit ou les jeunes commerces qui se sont montés juste avant la crise. L’essentiel, c’est qu’on soit tous là à la rentrée. Vivement qu’on puisse à nouveau se faire concurrence : c’est la preuve qu’on travaille ! Moi, je passerai la main d’ici quelques mois à mon successeur, Vincent (sur la photo, Ndlr).”
Soirées / Club
Fabien Tourniaire – L’UC, Impasse de la Pêcherie–Lyon 1
« Nous, les gérants de boîtes de nuit, nous sommes les oubliés du système. Nos établissements sont fermés depuis quinze mois et on n’a pas le droit de travailler à côté pour survivre ! De mars à juin 2020, on n’a touché aucune aide et, même si ça a changé depuis, les règles évoluent d’un trimestre à l’autre. Surtout, on n’a aucune idée de la date à laquelle on pourra rouvrir. On en saura peut-être plus le 15 juin, à l’issue de la réunion prévue entre le Syndicat national des discothèques et des lieux de loisirs (SNDLL), le ministre de la santé, Olivier Véran, et le ministre délégué aux PME, Alain Griset. C’est ce dernier qui, au sein du gouvernement, nous a le plus soute- nus jusqu’à présent. Il faut qu’on rouvre au plus tard en septembre, sinon beaucoup ne s’en relèveront pas. J’ai sorti 100 000 euros de ma poche pour tenir jusqu’à la n de cette crise et je n’attends que ça. »
Lionel Maublanc et Frédéric Crépeaux – La Garçonnière
“Par rapport à d’autres acteurs de la vie gay, on a été plutôt privilégiés, parce qu’on n’a pas d’établissement et donc pas de loyer à payer, de charges fixes, de salaires à verser, etc. Ne plus pouvoir organiser de soirées a bien sûr été très compliqué psychologiquement, parce que c’est notre vie, mais on a reçu des aides de l’État qui ont permis que notre société perdure. Et on a plein de projets : d’abord des open-airs cet été, ensuite le retour de la Garçonnière et de la Freaks en 2022, deux nouvelles soirées qui se profilent… On sent un besoin de retrouver la fête, parce que rien ne vaut le contact humain. Durant le seul événement qu’on a pu organiser durant cette période, un open-air à la fin de l’été 2020, on a dépassé toutes nos attentes, avec 650 entrées payantes. C’est de bon augure pour la suite !”
Isabelle Favotte – Arm Aber Sexy
“Samedi 14 mars 2020, nous étions en train de préparer la Arm aber qui devait avoir lieu au Lavoir public le soir même quand le Premier ministre a annoncé la fermeture de tous les lieux accueillant du public non-indispensablesà la vie du pays. Nous avons donc dû annuler la soirée en catastrophe. On savait déjà, à l’époque, qu’on allait devoir rendre les clefs du Lavoir à l’automne, mais on espérait pouvoir clore ce chapitre autrement. Aujourd’hui, on attend la reprise des lieux de nuit. Quand les clubs vont rouvrir, notre priorité sera de soutenir les acteurs locaux, les personnes qui vivent de cette activité, parce qu’ils en auront bien besoin. Mais on sait déjà qu’on gardera cet esprit qui a animé le Lavoir pendant neuf ans, des prix peu élevés et une programmation principalement locale.”
Mickaël Tramoy – Plusbellelanuit
“Le premier confinement nous a mis un sacré coup derrière les oreilles, car on avait plusieurs gros projets dans les tuyaux, sur lesquels on bossait depuis plusieurs mois et qu’il a fallu abandonner. Mais durant cette période, on a aussi participé à une table ronde géante entre acteurs de la nuit organisée par l’association Technopol. Ça a permis un partage d’idées et un échange sur nos pratiques respectives, par exemple sur comment faire en sorte que les publics LGBT+ soient bien accueillis dans les espaces qu’on investit. Aujourd’hui, on prépare la date de L’Homme seul aux Musées Gadagne, le 2 juillet, ainsi que des projets au Heat à Lyon et au Rex à Paris. On sera évidemment de retour au Sucre dès qu’on le pourra. On réfléchit aussi à de nouveaux formats, pourquoi pas des open-airs, qui nous permettraient de rencontrer notre public dans un cadre différent.”
Angel Karel – No Gender
“Cette année aura été pleine de rebondissements, de désillusions et de déceptions, mais nous aura au moins permis de tout réinventer, de remettre à plat notre collectif et nos envies. Nous avons changé le nom de notre association et son fonctionnement, afin de créer de nouveaux projets. Par exemple, on va lancer une soirée davantage portée sur le glamour, le rock et le punk. Ce sera la Scum, en hommage au Scum Manifesto de Valerie Solanas et à l’album éponyme de Napalm Death sorti en 1987, l’année de ma naissance. Ce sera en quelque sorte le prolongement de la No Gender, qui va évidemment continuer : si tout va bien, la prochaine aura lieu le 17 septembre. On aimerait aussi proposer au cours de nos soirées des ateliers de sexothérapie avec Sin Eden, qui fait partie du collectif. Je suis certaine qu’on va connaître une période d’effervescence culturelle, comme après chaque crise !”.
© photos Sarah Fouassier
Sauf le Before (DR), le Café noir (DR) et Angel Karel © Fabrice Catérini
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