À propos d’Élisabeth Roudinesco
Nul besoin de présenter la psychanalyste Élisabeth Roudisneco tant elle a fait parler d’elle ces dernières semaines, précisément chez les militant·es transpédégouines, féministes et anticolonialistes, à l’occasion de la sortie de son livre Soi-même comme un roi mais encore plus à l’occasion de ses interventions publiques alors qu’elle en faisait la promotion.
Besoin néanmoins de rappeler ce qu’Élisabeth Roudinesco a pu faire par le passé : c’est à elle, entres autres, que nous devons la défense, au nom de la psychanalyse, du mariage pour tous lors des débats de l’époque. C’est elle qui a farouchement combattu ses consœurs et confrères qui usaient de leur titre pour asséner leur homophobie et leur archaïsme intellectuel. Elle a secoué ces assis de la pensée en leur rappelant que la psychanalyse est tout sauf certitudes et morale. Que c’est la discipline du doute, du possible, de l’entendable comme de l’indicible.
On lui doit aussi d’avoir su proposer un regard psychanalyste et moderne à la fois, ce qui est une denrée suffisamment rare pour être notable. Preuve en est quand elle explique combien le complexe psychique contemporain n’est plus celui de l’Œdipe Freudien, propre à la société viennoise et bourgeoise du début du XXème siècle qui réprimait les désirs, mais celui de Narcisse, dans un monde de l’image et du m’as-tu-vu. La sexualité n’est plus un tabou, les hystériques ont disparu, l’obsession de notre image nous abîme, individuellement et collectivement. Bien vu.
Mais comme beaucoup, Élisabeth Roudinesco est victime de ce qu’elle dénonce. Narcisse ne résiste pas à l’attrait de son image dans le reflet de l’eau, Élisabeth Roudinesco ne résiste pas aux plateaux télé ni aux réseaux sociaux. Elle se noie entre les phrases chocs, les exemples supposés éloquents, les raccourcis, les syllogismes et elle blesse. Elle parle « d’épidémie » concernant les personnes trans. Elle prétend prévenir les militant·es des risques de repli identitaire et pour cela elle les menace de ressembler bientôt aux groupes identitaires mus par le fascisme. Quand on lutte pour le respect des singularités, il n’est pas de plus grande offense. Ces bassesses rhétoriques de plateaux télé auxquelles Élisabeth Roudisneco se livre n’aident pas à construire un regard critique sur les formes de nos luttes et c’est regrettable. Au lieu de ça, elles font le jeu de la colère là où, précisément en tant que psychanalyste, Roudisnesco devrait en accompagner les effets. Car la colère, le ressentiment et l’amertume, aussi légitimes soient-ils, ne sont pas sans conséquences sur nos ventres, nos liens et notre vie psychique. Et pour penser ces questions-là, nous préférerons le travail de Cynthia Fleury, dans son ouvrage Ci-gît l’amer qui sait décortiquer le ressentiment, de l’intime au politique sans confondre luttes légitimes et fascisme et tout en confrontant chacun à ses responsabilités. Quant à Narcisse, il est tombé à l’eau et nous allons le laisser y patauger.
Soi-même comme un roi d’Élisabeth Roudinesco (Seuil). En librairies.
Ci-gît l’amer de Cynthia Fleury (Gallimard). En librairies.
© illustrations : Merci Georgette
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