Le rendez-vous avait été convenu au deuxième niveau du théâtre. À peine Galaad eut mis le pied sur la volée de marches qui y menait, qu’il sentit le bourdonnement du sang qui courait dans les veines de son rencard.

Accros aux crocs : les ruines du théâtre antique 

Alors que Galaad escaladait la frêle barrière censée bloquer l’accès à la face nord des ruines de ce théâtre romain atypique, encastré au fil des siècles, des tremblements de terre et des reconstructions au milieu des palais et des églises baroques, la température avoisinait encore les 30 degrés bien que le soleil ait depuis longtemps déjà disparu à l’horizon.

Les pierres noires et poreuses en provenance du volcan voisin qui avaient, à travers les époques, servi à bâtir les monuments de la ville, relâchaient le soir venu la chaleur emmagasinée dans la journée, provoquant une sudation accrue des pores de la peau des simples mortel·les. Sous les arcades des longs corridors incurvés du théâtre antique, scandés à intervalles réguliers par les bouches béantes des vomitoria menant aux gradins, la lumière du jour pénétrait peu néanmoins, permettant de conserver une fraîcheur toute relative. 

Le rendez-vous avait été convenu au deuxième niveau du théâtre, et à peine Galaad eut mis le pied sur la volée de marches qui y menait qu’il sentit le bourdonnement du sang qui courait dans les veines de son rencard. Pendant qu’il avançait dans le boyau sombre du couloir, le long duquel avaient été entreposés des restes de colonnes et de décorations murales marmoréennes, les premières notes du troisième concerto brandebourgeois de Bach s’élevèrent d’une enceinte portative et envahirent les voûtes de lave. Dépassant le dernier virage, Galaad aperçut enfin l’être tant convoité avec qui il avait mis au point ce scénario sur une appli de rencontres plus tôt dans la journée. Petit et trapu, le corps bronzé recouvert de poils noirs roussis aux extrémités par le soleil et la mer, de longues boucles couleur de jais lui tombant sur le visage, il attendait, assis, totalement nu, les jambes écartées. 

Fut-ce la ritournelle entêtante des violons dont l’écho, en ricochant sur les parois, semblait réveiller la force éruptive, ou le souvenir de l’agitation qui avait animée, bien des siècles auparavant, cette enceinte les soirs de représentation théâtrale ? Toujours est-il que les sens sur-sollicités de Galaad le plongèrent dans un état d’euphorie tel qu’il se rua sur l’entrejambe de son compagnon, léchant la sueur qui perlait sur l’épiderme tressaillant, avant d’enfoncer ses dents dans le creux de l’aine, déchirant sans mal la peau épaisse et transperçant l’artère fémorale. Un sang chaud et doucereux emplit alors sa gorge, jaillissant ça et là sur les blocs de marbre abandonnés. Il tenta en vain de contenir son avidité, mais sa bouche semblait résolue à ne quitter cette source qu’une fois tarie. Effrayé par sa propre ivresse, il parvint toutefois à prendre la fuite, hagard et chancelant. En quittant la scène du délit, et alors que les envolées saccadées de Bach ne cessaient de tourner en boucle dans le théâtre désert, il jeta un dernier regard vers cet amant d’un soir qui, dans la semi-obscurité, semblait à présent trôner au centre d’un tableau d’Artemisia Gentileschi

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