bibliothèque

Accros aux crocs : la bibliothèque

Galaad avait profité de l’absence des propriétaires pour s’introduire dans cette ancienne ferme transformée en maison de vacances et rejoindre la bibliothèque au dernier étage, blottie dans les combles aménagées, qu’il entrapercevait parfois à la nuit tombée, à travers les fenestrons, à la faveur de quelque lampe restée allumée.

L’annonce du décès avait été fugace. Il avait fallu cette voiture à l’arrêt quelques minutes en lisière du sous-bois, radio à fond, pour qu’il apprenne en quelques secondes seulement qu’elle était morte, à 80 ans, à Palm Springs. Le nom de cette ville californienne minérale, écrasée par la lumière du soleil qui ne laissait aucune place à l’ombre, plantée au milieu d’un désert rocailleux à l’aridité ocre, résonnait étrangement au regard de l’humidité glaciale qui s’était insinuée dans les campagnes émeraudes alentour depuis plusieurs jours. Galaad avait alors ressenti le besoin irrépressible de se rapprocher d’elle, d’honorer d’une manière ou d’une autre sa mémoire, de lui rendre un dernier hommage en plongeant dans les souvenirs que son nom grésillant sur le bord de la route avait réveillés.

Cette bibliothèque qui, à vrai dire, n’était qu’un large mur recouvert de livres entassés les uns sur les autres en piles plus ou moins acrobatiques défiant la gravité, lui avait semblé l’endroit le plus approprié au vu de ses possibilités réduites de déplacement. Il était totalement exclu qu’il se rende à Palm Springs, cité ironiquement solaire pour la papesse des récits de vampires. Mais ici, en présence de quelques uns de ces livres qui avaient fait son succès, il pouvait retrouver l’ambiance vénéneuse de la Nouvelle-Orléans qu’elle lui avait permis de découvrir à travers ses lectures d’adolescent, avant de s’y rendre lors d’un été caniculaire.

Il se souvenait avec acuité de cette journée d’août où il avait pris le vieux tram de bois et d’acier brinquebalant qui longeait Saint Charles Avenue, filant sous ces chênes typiques du Sud des États-Unis en direction de Garden District. Il portait un jean ajusté qui lui avait valu les compliments de ses compagnons américains et qui tranchait avec leurs pantalons de toile larges et informes. Les rues de ce chic quartier résidentiel étaient désertes, la vieille bourgeoisie de la ville préférant passer le temps à boire du Brandy dans le confort climatisé de larges demeures coloniales, tant la chaleur à l’extérieur était insoutenable. Pourtant, inlassablement, il avait parcouru ces parallèles arborées et ces perpendiculaires luxuriantes, tirées au cordeau, à la recherche de sa maison à elle. Alors que la sueur maculait de traînées blanches son T-shirt noir le long de son dos, il avait fini par la découvrir, à l’angle de First Street et de Chestnut Street, avec ses élégantes vérandas et ses balcons à colonnades d’inspiration ionique. Le long du trottoir devant le portail semblait attendre une longue limousine noire dont on décelait à l’intérieur, appuyés contre la vitre arrière gauche, des chrysanthèmes blancs.

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