Les enjeux de genre et sexualité restent polémique dans le champ catholique : retour sur le difficile abandon, par l’Église, de ses positions homophobes.

Pourquoi l’Église peine-t-elle à sortir de l’homophobie ?

Autour du spectacle La Peur, joué aux Célestins, la fin d’année 2021 aura été, à Lyon, théâtre d’un mouvement de réflexion sur l’Église catholique, son fonctionnement et son positionnement vis-à-vis des questions de genre, de sexualité, et de consentement. L’occasion de nous intéresser au difficile abandon, par l’Église, de ses positionnements homophobes.

À force de s’entendre rabâcher que Dieu condamne l’homosexualité comme un vice impardonnable, on finirait par le croire, et ne plus remettre en question cette position dogmatique. Pourtant, pour quiconque s’intéresse à l’analyse des textes sacrés, et aux différentes traductions et interprétations qui ont émaillé l’histoire, apparaît le fait suivant : la prétendue homophobie de la Bible n’est pas une réalité évidente et indiscutable. 

Pas seulement parce qu’il serait anachronique de transposer le concept d’orientation sexuelle, né à la fin du XIXe siècle, à des périodes bien antécédentes, mais surtout parce que les relations consentantes entre personnes de même sexe n’apparaissent pas dans la Bible comme objet de honte ou de culpabilité. Lorsque la sexualité y est interpellée, c’est davantage dans sa dimension adultère, ou en lien avec des cultes jugés idolâtres, que dans sa dimension genrée.

Il serait bien trop long de reprendre en détail chacun des extraits généralement mobilisés pour justifier l’homophobie de l’Église, et le faire brièvement reviendrait à caricaturer une réflexion complexe. Mener à bien un tel travail était justement l’objet du séminaire animé par James Alison en novembre dernier au Collège Supérieur de Lyon. Pour celles et ceux qui voudraient creuser davantage ce sujet, Daniel Helminiak s’y est attelé dans son ouvrage Ce que la Bible dit vraiment sur l’homosexualité.

Eglise

Une homophobie surtout institutionnelle

Si l’argument théologique ne nous permet pas de comprendre la difficulté de l’Église à faire évoluer sa position, peut-être faut-il faire appel au regard du sociologue, et à son analyse de l’institution : c’est ce à quoi nous invite Josselin Tricou dans son enquête Des Soutanes et des hommes, consacrée à la masculinité des prêtres catholiques, et qui aborde à de nombreuses reprises la fonction de l’homophobie dans l’Église.  

En effet, l’institution ecclésiale a ceci de particulier qu’elle se définit comme « réalité humano-divine », partagée entre une mission d’ordre sacré, atemporelle, et son incarnation en tant qu’institution humaine, soumise au contingent. Elle constitue donc un champ social, habité par des conflits d’intérêt, des divergences d’opinion et de stratégie. Parler de l’Église revient alors à parler de ses tendances majoritaires actuellement, sans oublier qu’au sein même de l’institution, des divergences se font entendre, sur la question de l’homosexualité comme sur les autres.

Alors pourquoi, tandis que l’homosexualité connaît une certaine démocratisation dans la société séculière, l’Église peine-t-elle à suivre cette évolution ? Les raisons, en réalité, sont multiples : d’une part, un changement trop brutal dans le discours officiel rendrait trop saillante la dimension contingente d’une institution qui cherche à déshistoriciser ses positions, au nom de sa vocation atemporelle. D’autre part, le champ catholique connaît aujourd’hui une forte polarisation autour d’un catholicisme d’identité, traditionaliste et réactionnaire, auquel certains membres de l’église adhèrent, et avec lequel il est difficile de ne pas composer. Par ailleurs, alors que les effectifs de clercs se réduisent comme peau de chagrin, l’institution tire avantage à conserver son rôle de « dernier placard », offrant à des hommes la possibilité de fuir l’hétéronormativité sans éveiller de soupçon et sans déclassement social. La persistance d’un certain climat homophobe, loin de lui nuire, lui offre donc quelques bénéfices. 

Sortir de l’impasse 

Ainsi, le positionnement de l’Église vis-à-vis de l’homosexualité s’inscrit au cœur d’un réseau de considérations stratégiques et institutionnelles, et ne peut se comprendre indépendamment du contexte plus large d’une institution déclinante, inquiète à l’idée de devenir minoritaire, et cherchant des moyens de se maintenir. Si, évidemment, cette mise en perspective ne suffit pas à résoudre le conflit d’appartenance éprouvé par certaines personnes homosexuelles et catholiques, au moins cela nous invite-t-il à historiciser la question, et à prendre un peu plus de distance vis-à-vis du discours institutionnel. Certes, l’homosexualité demeure un enjeu polémique dans le champ catholique. Mais des travaux déconstruisant l’homophobie prétendument inévitable de l’institution, et des courants renonçant à opposer systématiquement foi et homosexualité deviennent aussi de plus en plus audibles. De tels développements permettent de nourrir l’espoir en une religion qui soit autre chose qu’un bastion réactionnaire, œuvrant à la perpétuation de discriminations et d’injustices. Finalement, une religion d’amour, et de respect de l’autre : une perspective révolutionnaire. 

À voir

La Peur, le 25 mars 2022 au Théâtre Jean Marais, 59 rue Carnot-Saint-Fons. Gagnez 5×2 places pour la représentation en envoyant nom+prénom à redaction[at]heteroclite.org (Objet : La Peur).

À lire

Ce que la Bible dit vraiment sur l’homosexualité de Daniel Helminiak (Les Empêcheurs de penser en rond). En librairies.

Des Soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres catholiques de Josselin Tricou (PUF). En librairies.

La foi au-delà du ressentiment de James Alison (Éditions du Cerf). En librairies.

© Illustration par Annabel Trotignon @Troty__

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.