Malte accueille l’Europride 2023

Alors que Malte s’apprête à accueillir l’Europride 2023 , nous sommes allés sur l’archipel à la rencontre de membres de la communauté LGBT+ afin de saisir le paradoxe maltais, entre esprit d’ouverture et conservatisme.

Membre de l’Union européenne depuis 2004, Malte – dont le nom dérive du mot phénicien signifiant « refuge » – est un archipel situé à 90 km au sud de la Sicile composé de trois îles (Malte, Gozo et Comino), dont la position stratégique au sein du bassin méditerranéen a attisé bien des convoitises au cours de l’histoire. Il suffit pour s’en convaincre de tendre l’oreille : la langue maltaise porte encore en elle les traces des influences arabe, italienne et anglaise. 

Une histoire interlope

Cédé par Charles Quint en 1530 aux Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, l’archipel est aujourd’hui encore fortement marqué par la présence de cette ordre religieux composé d’hommes aristocrates européens ayant fait voeu de chasteté qui y ont construit des villes fortifiées comme Birgu ou La Valette mais ont également aidé à la reconstruction de l’ancienne capitale, Mdina, à la suite du tremblement de terre de 1693.

On pense au Liban dans certaines ruelles mais également à Ortigia, le joyau de Syracuse, et la présence de nombreuses églises baroques et de deux tableaux du Caravage (La Decollazione di San Giovanni Battista et le San Girolamo scrivente exposés dans la Co-Cathédrale Saint John) n’y est pas pour rien. C’est en effet à Malte, auprès des Chevaliers, que le peintre d’origine lombarde trouve refuge en 1607, fuyant la justice papale après avoir tué Ranuccio Tomassoni lors d’une rixe avinée à Rome, être brièvement passé à Naples et avant de remonter en Sicile, à Naples à nouveau et de trouver la mort en 1610 à Porto Ercole, au large de la Toscane. 

Des chevaliers ayant juré de ne pas côtoyer de femmes, un peintre marqué par le scandale dont les historien·nes de l’art se demandent toujours s’il était bisexuel ou non, une forte influence de l’Église catholique, le couvent Mysterum Fidei en plein coeur de La Valette où des femmes étaient enfermées à vie (qui vient juste d’ouvrir ses portes au public), tous les ingrédients semblent réunis pour que ne se développe une histoire des sexualités complexe, souterraine et alternative.

C’est d’ailleurs ce que nous confirme Artúr Lengyel, Hongrois installé à Malte et fondateur de Q Travel Malta, agence qui propose des visites et des séjours sur l’archipel à une clientèle LGBT+. Dans Strait Street, étroit boyau parallèle à l’artère principale de La Valette, ce dernier fait ressurgir l’histoire des cabarets, des hôtels de passe et des figures interlopes de la nuit maltaise – comme l’iconique Katya Saunders, première femme trans connue de l’archipel – disparu·es avec les garnisons britanniques en 1964. 

Le paradoxe maltais

Si ces histoires exercent une fascination certaine sur les visiteur·euses de l’archipel, qu’en est-il de la vie quotidienne des personnes LGBT+ à Malte ? Toutes et tous s’accordent à dire que Malte est un pays certes conservateur mais où les situations peuvent évoluer très vite, même si les mentalités ne suivent pas toujours le rythme de la loi. 

Ainsi, bien que la corruption gangrène la classe politique, que la question de l’avortement reste un point noir, que le désir d’européanité de l’archipel attise un racisme latent à l’encontre des populations arabes et africaines, renforcé par les récentes arrivées de migrant·es sur les côtes maltaises face auxquelles l’Union européenne peine à trouver une réponse commune, Malte est en tête des classements européens concernant les droits des personnes LGBT+ depuis 8 ans. 

Le mariage entre personnes de même sexe et le droit à l’adoption des couples de même sexe est en vigueur depuis 2017, le changement de genre est légal depuis 2015 sans recours à la chirurgie, à la stérilisation ou à un avis psychiatrique et depuis 2017 il est possible de ne pas avoir de mention de genre sur les documents d’identité. Selon Dominic Micallef, guide touristique et ancien directeur de l’Office du Tourisme de Malte à Paris, le droit au divorce, arrivé très tardivement dans l’archipel en 2011 et qui a rencontré une forte opposition à l’époque, a ouvert la voie à ces avancées. Un exemplaire, parmi d’autres, du paradoxe maltais. 

Dans un pays où la population n’excède pas celle de Lyon intramuros et où la famille et le voisinage sont prompts à rapporter aux parents les faits et gestes des enfants, Maria Azzopardi, présidente de l’Allied Rainbow Communities (ARC), l’association organisatrice de l’Europride, le reconnait : il peut être difficile d’être out.

Cela n’empêche cependant pas des commerces LGBT+ et friendly d’essaimer un peu partout, jusque dans de petits villages comme Mgarr qui compte un bar-restaurant (Bohini) et une boulangerie tenus par des personnes ouvertement LGBT+. À La Vallette, le restaurant Elephant Shoes est couru pour ses brunchs et la jeunesse queer se presse le soir venu pour boire un verre entre ami·es sur les marches du Café Society. Mais dans le même temps, la police continue de faire des descentes sur la plage naturiste Riviera Beach, très prisée de la population LGBT+, le naturisme étant interdit dans l’archipel. 

Joseph Chetcuti, la cinquantaine fringante, est avocat, violoniste et présentateur TV. S’il n’hésite pas désormais à se promener main dans la main avec son compagnon et à parler d’homosexualité dans les deux émissions qu’il anime – Personaggi, consacrée à des interviews de personnes aux parcours variés et Brillanti, sorte de Nouvelle Star dont la première saison était consacrée à la musique classique et la deuxième à la danse – cela n’a pas toujours été facile. Il n’a fait son coming-out qu’à 26 ans et regrette aujourd’hui de ne pas avoir pu le faire plus jeune. Sa famille l’a plutôt bien pris, et il sait qu’il a de la chance. Quand il a réveillé sa soeur jumelle pour lui dire, cette dernière lui a répondu : « Je sais. Et tu me réveilles pour ça ? ».

Selon Joseph, les mentalités maltaises ont évolué mais rien n’est jamais acquis. Il y a quelques années, il s’est retrouvé au coeur d’un scandale sur l’archipel à cause de photos de lui nu qui avaient fuité dans la presse. Et encore dernièrement, alors qu’il développe un concept d’hôtels-boutiques, le maire d’une commune où il cherche à s’implanter lui a rétorqué qu’il ne voulait pas voir débarquer des hordes de gays dans sa ville.

De son côté, Kris Micallef, photographe d’une trentaine d’années qui s’est notamment fait connaître pour ses nus masculins subaquatiques, est également promoteur des soirées LGBT+ Lollipop, auxquelles il donne à chaque fois une identité visuelle forte.

Si les lieux étiquetés LGBT+ sont globalement peu nombreux sur l’archipel, les soirées thématiques rencontrent en revanche un véritable succès et ont aujourd’hui tendance à se multiplier. À l’occasion de l’Europride, Kris en proposera d’ailleurs pas moins de trois : l’Outhaus x Lollipop le 8 septembre, une Lollipop le 15 et une pool party Disco Tits le 17.

 

Kevin, Antoine et Olivia

Autre exemple du paradoxe maltais, l’histoire de Kevin Mifsud et d’Antoine Cauchi. Tous deux enseignants dans une école catholique pour jeunes filles, ils sont en couple depuis 6 ans et sur le point de se marier. Leur situation familiale est connue de leur direction qui ne trouve rien à y redire. Pourtant, leur coming-out au sein de leur famille respective n’a pas forcément été facile et Antoine entretient encore des rapports compliqués avec son père qui vit sur la petite île de Gozo. 

Ce gaillard au crâne rasé et au fort accent britannique a cependant trouvé une forme d’expression artistique dans le drag, sous le nom d’Olivia Lilith. Il a pris part à l’émission TV Malta’s Got Talent et explique avoir reçu énormément de messages depuis de parents s’interrogeant sur l’orientation sexuelle de leur enfant. Il essaie à sa manière de faire évoluer les mentalités et pense que la présence de l’Europride à Malte peut jouer un rôle favorable en ce sens. Aujourd’hui, c’est la mère de Kevin qui coud les tenues d’Olivia et ses élèves laissent régulièrement des messages « We love Olivia » au tableau avant qu’il ne rentre en classe. 

Pour faire plus ample connaissance avec Olivia Lilith, il faudra être présent·e au Village de la Pride, sur la Pjazza Tritoni, à l’entrée de La Vallette le 11 septembre pour assister au Drag Bingo que la queen animera.

L’Europride : à quoi s’attendre ? 

L’équipe organisatrice de l’Europride à Malte mise beaucoup sur l’événement pour donner une large visibilité aux communautés LGBT+ de l’archipel et renforcer le sentiment d’appartenance. Ainsi, outre la marche principale qui aura lieu à La Valette le 16 septembre, une marche sera également organisée le 9 septembre sur la petite île de Gozo. 

Si beaucoup de concerts et de soirées seront organisés à proximité du Village de la Pride, à l’entrée de La Valette, dont notamment le concert gratuit de Christina Aguilera le soir du 16 septembre, l’Europride investira également les théâtres et lieux d’exposition de l’archipel avec plusieurs spectacles, conférences et expositions, en partenariat avec des associations locales dont Drachma qui proposera Queering Faith ?, un forum sur la foi et la sexualité, un sujet brûlant dans un pays où l’influence de l’Église catholique est encore très prégnant. 

Sur une note plus légère (mais pas moins essentielle), Malte nourrissant une passion nationale pour l’Eurovision, Conchita Wurst fera le déplacement pour une soirée spéciale dédiée au concours de la chanson européenne le 15 septembre. 

Enfin, les francophones seront invité·es à se rendre à l’Alliance française pour assister à la projection de La Revanche des crevettes pailletées, en présence du réalisateur, Cédric Le Gallo. 

Du 7 au 17 septembre 2023 à Malte. Programmation complète sur le site de l’Europride.

Plus d’information pour votre séjour sur le site de l’Office du Tourisme de Malte.