
La déportation pour homosexualité en France, toujours pas “une légende”
Grâce à l’activisme de militants gays et aux recherches d’historien·nes, il est établi que des Français ont été déportés durant l’Occupation au motif de leur homosexualité.
S’être fait corriger par tous·tes les historien·nes de l’Occupation après ses propos sur le rôle de Pétain dans la déportation des Juifs ne lui suffisait pas. Dans son dernier livre, Éric Zemmour reprend à son compte une affirmation vieille de dix ans de Christian Vanneste, alors député UMP, selon lequel « en dehors des trois départements annexés [au Reich nazi], il n’y a[urait] pas eu de déportation homosexuelle en France ». Des propos qui lui valent aujourd’hui une plainte pour négationnisme, déposée par six associations LGBT+.
Dans une tribune publiée le 23 mars sur tetu.com, ces dernières, appuyées par l’historien Arnaud Boulligny, rappellent la réalité des faits, en prenant soin de différencier zone annexée, zone occupée et zone dite “libre”. Les chiffres qu’elles avancent (respectivement 153, 21 et 7 déportations pour motif d’homosexualité recensées, auxquelles s’ajoute un nombre significativement plus élevé d’arrestations) se basent sur les recherches historiques les plus récentes. Ils attestent, bien sûr, que la déportation pour homosexualité n’a pas eu l’ampleur de celle des Juif·ves, des Tziganes ou des résistant·es de toute obédience politique. Ils montrent aussi que la répression des comportements sexuels dits “contre-nature” a été plus féroce au sein du Reich que chez ses vassaux, car elle visait avant tout à préserver la moralité et la pureté de la “race germanique” et non celles des autres peuples, jugés inférieurs et promis à la décadence. Il reste que ces données sont encore parcellaires et lacunaires et qu’il est parfois difficile de déterminer avec certitude le motif réel d’une déportation.
Si tant d’ignorance subsiste à ce sujet, c’est aussi parce que les historien·nes n’ont commencé à se pencher sérieusement dessus que depuis une vingtaine d’années. Avant eux, des militants gays ont réussi à briser le silence et à gagner l’attention à la fois des autorités et du monde de la recherche. Un ouvrage collectif, paru en 2010 et réunissant les travaux de quatre historien·nes (Florence Tamagne, Arnaud Boulligny, Marc Boninchi et Mickaël Bertrand), évoque d’ailleurs le travail de défrichage effectué par Jean Le Bitoux, Guy Hocquenghem ou les journalistes de Gai Pied. Parfois pour s’en distancier, voire pour contredire certaines affirmations exagérant l’ampleur du phénomène. Mais sans opposer de manière schématique mémoire “militante” et histoire “scientifique”, ni remettre en cause la réalité de la déportation pour motif d’homosexualité en France, désormais solidement établie – grâce, notamment, à l’activisme de quelques pionniers.
À lire
La Déportation pour motif d’homosexualité en France. Débats d’histoire et enjeux de mémoire, sous la direction de Mickaël Bertrand (Éditions Mémoire active). Disponible en librairies.
À voir
Exposition Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie, jusqu’au 22 mai, au Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy l’Asnier-Paris 4
© Pillage de la bibliothèque de Magnus Hirschfeld, directeur de l’Institut de sexologie de Berlin, par des étudiants allemands et des membres de la SA. Berlin. 6 mai 1933. Coll. United States Holocaust Memorial Museum (Washington), courtesy of National Archives and Records Administration, College Park.
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