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Accros aux crocs : le musée

Galaad avait décidé à la dernière minute de monter dans cet autocar dont les fauteuils éliminés suintaient les fins de mois difficiles pour rejoindre cette ancienne capitale déchue, désormais corsetée dans une snob désinvolture.

Malgré le peu de confort qu’offraient ces bus qui sillonnaient l’Europe à moindre coût, entre l’agitation des enfants braillards et les odeurs de pâté de la veille, cela restait le moyen le plus sûr de voyager de nuit sans trop attirer l’attention. 

Arrivé à peine avant l’aube, Galaad avait remonté la large avenue qui menait jusqu’au fleuve, en périphérie du centre-ville, sans s’attarder sur les statues gigantesques à la gloire des rois passés qui ornaient d’immenses ronds-points. Après un échange d’amabilités sans profondeur avec une réceptionniste faussement enjouée, engoncée dans une veste d’uniforme trop petite, il s’était enfermé toute la journée dans sa chambre d’hôtel en attendant que ne tombe la nuit. 

C’étaient les éclats de voix d’une jeunesse en mal de divertissement, et le bruit sourd des conversations qui emplissaient les rues étroites à l’heure de l’aperitivo qui l’avaient sorti de sa torpeur. Le quartier où se trouvait son hôtel, à proximité de la gare centrale aux proportions démesurées, offrait le spectacle désormais stéréotypé des espaces urbains en pleine gentrification : les jeunes filles de bonne famille avec leur sac Prada au coude passaient avec une indifférence teintée de mépris devant les petits dealeurs qui quadrillaient les rues. Les populations immigrées du quartier regardaient depuis leurs appartements exigus une foule blanche et festive, sûre de son progressisme, dépenser en bières artisanales et cocktails élaborés l’argent que les spectateurs aux fenêtres n’avaient pas à mettre dans un repas. 

Marchant en direction du Nord, Galaad rejoignit les musées royaux de la ville pour une visite nocturne du palazzo. Il s’attarda longtemps dans la galerie archéologique qui regroupait dans un long couloir repeint d’un élégant gris les vestiges de civilisations méditerranéennes dont le moindre artefact faisait encore résonner la puissance. Entre les deux bustes d’éphèbes semblant converser, il remarqua immédiatement le jeune homme aux traits délicats et au corps ferme sous la chemise de bonne facture. Ce dernier sentit le regard de Galaad sur ses reins, se retourna, lui sourit et entreprit de sortir du musée. 

S’ensuivit une poursuite à pas feutrés dans les rues flanquées de palais de briques s’ouvrant sur des places grandiloquentes. Le jeune homme finit par rejoindre un groupe d’amis dans un bar all’aperto où Galaad pénétra à son tour. L’irruption de ce nouveau venu, inconnu de tous, eut aussitôt pour effet de suspendre les conversations, de susciter des hochements de tête entendus et des œillades lancées à la dérobée. Cela ne faisait aucun doute qu’il était vu à cet instant même comme de la chair fraîche sur laquelle chacun entendait poser son dévolu. Dangereuse et fragile illusion, pour ceux qui, sans même le savoir, n’étaient plus désormais que des proies. 

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