Néaud

Fabrice Néaud : la vie en tracé subtil

Après plusieurs dizaines d’années d’interruption, la suite du Journal de Fabrice Néaud devrait être publiée aux Éditions Delcourt en 2023. L’occasion pour la maison d’éditions de ressortir les quatre premiers tomes.

C’est une œuvre assez étonnante et ambitieuse, à l’histoire singulière. Un journal en bande-dessinée qui offre à voir et à lire en plusieurs tomes la vie quotidienne du narrateur durant les années 1990, dans une petite ville de France. 

Ce choix d’un journal dessiné nous permet donc de découvrir une personne dans les différentes dimensions de son existence, qui représentent autant de points d’intérêt dans l’œuvre : la difficulté à vivre du travail d’artiste et la précarité à laquelle elle confronte, l’évolution des relations amicales et amoureuses, la solitude et ses effets, l’homosexualité dans un lieu où elle reste très marginale, ou encore les réticences suscitées par un projet de journal en bande-dessinée.

En se fixant comme unique cadre celui du journal, l’auteur réussit ici une sorte de double pari. D’une part, celui d’intéresser les lecteur·ices dans le suivi au long cours d’une intimité, puisque l’ensemble de l’œuvre se déploie à partir d’un regard unique. D’autre part, celui de se saisir de ce regard comme d’une porte d’entrée vers une époque, un milieu, sa mentalité, et la manière dont les relations humaines s’y tissent. 

Quand la loi ne suffit pas

En ce sens, l’œuvre est particulièrement marquée par la reconfiguration des enjeux liés à l’homosexualité : alors que le droit progresse en France vers un horizon moins discriminant, bien qu’encore inégalitaire, les normes quant à elles ne se métamorphosent pas du jour au lendemain. En résulte une position intermédiaire et ambiguë, entre amélioration et stagnation, et une plus grande conscience du problème posé par des normes homophobes persistantes. 

C’est dans cette situation, loin d’être révolue aujourd’hui malgré les avancées, que se retrouve le narrateur. En effet, alors que son quotidien reste façonné par l’homophobie, sa violence et l’isolement qu’elle induit, cette expérience minoritaire douloureuse semble inentendable pour son entourage, et pour une société qui se vante et se persuade d’avoir mis fin à l’homophobie en 1982

L’œuvre conserve ainsi une actualité qui résiste aux nombreux changements de ces vingt dernières années, en ce qu’elle met en lumière la manière dont un système de normes discriminant assiège la subjectivité d’une personne, et alourdit ses liens aux autres et au monde. Une entreprise subtile et bénéfique, qui nous fait attendre la réédition du quatrième opus avec enthousiasme.

À lire 

Journal 1,2 et 3 de Fabrice Néaud (Delcourt). En librairie. 

Journal 4 de Fabrice Néaud (Delcourt). À paraitre le 14 septembre.

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