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Gabriel Maffeïs : Miels, nouvelle revue de BD queer

Les recueils de bandes dessinées LGBT+ sont plutôt rares ces temps-ci et, en cela, l’existence du premier numéro de Miels est une excellente nouvelle. Lancée par Gabriel Maffeïs, la revue n’a sorti qu’un seul numéro mais déjà elle ravit les chanceu·ses qui ont pu mettre la main dessus. Dans la lignée des pionniers américains Wimmen’s Comix et Gay Comix, Miels souhaite mettre en avant des récits du quotidien, dans lesquels l’intime et l’authentique tiennent les premiers rôles. Ce réalisme assumé est le moyen de faire parler sans intermédiaire des problématiques concrètes de la communauté LGBT+ : coming-out, environnement familial, premières amours, etc. Espace de libre expression, Miels se veut le porte-voix d’une génération d’artistes qui en a marre de n’être pas ou mal représentée. Rencontre avec l’instigateur de cette très bonne idée, l’auteur et dessinateur Gabriel Maffeïs.

D’où vient l’idée de la revue Miels ?

Gabriel Maffeïs : Dans le cadre de mes études, j’avais fait quelques recherches sur une revue des années 80 qui s’appelait Gay Comix. Elle invitait à chaque numéro une dizaine d’auteur·rices issu·es de la communauté LGBT+ à témoigner de leur vie quotidienne. Malheureusement, elle s’est arrêtée en 1998 après 25 numéros et 18 ans d’existence.

De là, je me suis dit que ce serait intéressant de faire une revue se basant sur le même principe mais en l’actualisant, dans une volonté de perpétuer la culture de la bande dessinée LGBT+. Après avoir un peu regardé sur Internet, je me suis aperçu qu’il n’y avait pas grand chose en France. Je me suis dit que ça pouvait être chouette de remplir le vide.

Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de ces pionniers américains dont vous vous inspirez ?

Je parlais de Gay Comix mais, avant, des premières bandes dessinées lesbiennes ont été publiées dans Wimmen’s Comix, une revue féministe apparue en 1972. Mais l’homosexualité n’était pas le cœur de l’objet. Toutefois, c’est une revue qui a beaucoup influencé le créateur de Gay Comix, Howard Cruse. Comme dans Wimmen’s, il voulait parler du vécu, mais en tant qu’homme gay. Il s’est d’ailleurs entouré de quelques-unes des pionnières de Wimmen’s comme Roberta Gregory qui a participé aux premiers numéros de Gay Comix. Ce qui a marqué, c’est que c’est une revue dans laquelle on trouvait la représentation brute de ce qu’était la vie gay et lesbienne à cette époque, autant dans la romance que dans les violences de la société. 

Elles ont influencé de nombreux·euses artistes après elles. En France, par exemple, Gay Comix a beaucoup inspiré Fabrice Néaud pour écrire son fameux Journal [réédité en 2022 chez Delcourt]. Ces revues ont eu globalement un impact assez majeur dans le monde de la bande dessinée, qui était jusqu’alors très masculin et hétérocentré.

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Qu’est-ce qui en 2022, vous a poussé à faire cette revue ? À quel besoin cela répondait ?

Ça faisait longtemps que je voulais parler de choses personnelles en BD. Mais je n’avais ni le temps ni la confiance en moi pour le faire. Aborder cela avec une revue collaborative m’a beaucoup rassuré. Mes collègues étaient d’ailleurs un peu dans la même position que moi, avec cette envie de traiter ces sujets mais sans forcément avoir l’occasion de le faire. Quand je leur en ai parlé, ielles ont tout de suite été partantes. Elleux aussi voulaient parler de leur quotidien de personne LGBT+ sans forcément trouver le moyen de le faire.

Il y avait également la curiosité de voir ce que pouvait donner une revue d’aujourd’hui se basant sur les mêmes principes qu’une revue des années 80. Quelles problématiques avaient évolué ? Dans quel sens ? Et c’est assez amusant de constater qu’entre les premiers numéros de Gay Comix et ce numéro 1 de Miels les problématiques sont assez similaires : le coming-out, la relation à la famille, les expériences amoureuses, etc. À voir comment ça va se transformer dans les prochains numéros. Gay Comix est, par exemple, devenue de plus en plus militante avec le temps.

Sur votre compte Instagram, vous faites le constat d’un manque de représentation de la communauté LGBT+ dans le monde de la bande dessinée, auquel pourrait répondre Miels. D’où vient ce constat ?

Enfant, j’étais très fan de BD et puis à l’adolescence, quand je me suis mis à chercher qui j’étais, j’ai cherché des modèles. Et dans la bande dessinée, je n’en trouvais pas. Il y avait très peu de BD LGBT+ avant 2010. En tout cas, je n’en trouvais pas dans les rayons et aucune ne m’est tombée entre les mains par hasard.

Je prends quand même conscience d’une certaine évolution. Il existe aujourd’hui de plus en plus de BD représentant les homosexuel·les. Je pense à Joseph Kaï chez Casterman ou Michael DeForges chez Atrabile. En revanche, il y a toujours trop peu d’histoires sur la transidentité et c’est aussi à ça que je voulais dédier Miels. Cela fait partie de nos missions : ouvrir nos pages à des communautés qui ne pouvaient pas s’exprimer du temps de Gay Comix et qui le font toujours très peu hormis sur Instagram, à l’instar de Marie Besse qui a un récit dans Miels.

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Comment as-tu réuni les auteur·rices de Miels ?

Dans un premier temps, j’ai sondé mes ami·es de mon école, la HEAR de Strasbourg [école d’art très respectée dans le monde de l’illustration]. Mais j’ai voulu aussi sortir du microcosme strasbourgeois pour m’intéresser à des personnes que je connaissais uniquement via Instagram, pour diversifier les points de vue : Corentin Garrido, Marie Besse et Clémence Sauvage sont de celleux-là.

Mais c’est vrai que je suis resté dans une cercle proche, d’ami·es d’ami·es, pour des raisons logistiques notamment. Je souhaite sortir de ça pour le second numéro, sortir des grandes villes et même du milieu artistique : tout faire pour éviter l’entre-soi. L’idée est de donner la parole à un panel le plus large possible, pour avoir des vécus différents.

Tu as parlé d’Instagram sur lequel la communauté BD LGBT+ est très présente. Peux-tu nous dire en quoi cet outil est important pour les artistes aujourd’hui ?

Instagram offre un espace d’expression que la communauté LGBT+ ne trouvait pas forcément dans le monde de la bande dessinée mainstream. Félix Auvard, qui a participé à Miels, a beaucoup utilisé Instagram pour raconter ce qu’il ne pouvait pas dire en livre parce que les éditeurs étaient frileux. C’est moins le cas maintenant car ils ont compris que les communautés de fans pouvaient assurer le succès d’un livre. 

Mais Instagram reste un moyen de voir la parole de celles et ceux à qui on ne la donne toujours pas dans les maisons d’éditions. Le boum de l’arrivée d’Internet chez les auteur·rices de bande dessinée a pu coïncider avec les discours sur la transidentité, par exemple. Cette liberté est essentielle pour parler de sujets qui ne sont pas visibles autrement.

Esthétiquement, les styles dans Miels sont très variés. C’est un choix assumé ?

Quand j’ai sélectionné les auteur·rices, j’ai refléchi à ce qu’il y ait une sorte de paysage de ce que les auteur·rices LGBT+ font. J’avais à cœur de montrer ce que les personnes LGBT+ font et sont, dans leur grande diversité.

Quels ont été les retours ?

Je n’ai eu que des retours très positifs et qui m’ont beaucoup touchés. J’ai réalisé que je ne m’étais pas trompé et que ce projet pouvait être important pour beaucoup de gens. Beaucoup ont été sensibles au fait de voir la bande dessinée aborder la vie quotidienne des personnes LGBT+. Il y avait presque une attente dont les gens n’avaient pas forcément conscience. Plein de gens sont venus me dire « enfin ! ».

C’est quoi la suite pour Miels

Je vais déjà rééditer le premier numéro que j’avais très peu tiré parce qu’on était sur un crash test, que je ne savais pas si ça allait marcher.

Sur la fréquence, on va partir sur une revue annuelle pour avoir le temps de faire les choses bien, quitte à sortir des numéros plus épais et avoir plus d’auteur·rices. Aussi, pour le second numéro, on va sans doute travailler à deux pour ce qui est de l’éditorial. Ce qui est pas mal, parce que je ne me sentais pas légitime à porter le projet tout seul. Prendre la parole pour la communauté LGBT+ au sens large alors que je n’en représente qu’une faible partie ne me mettait pas forcément très à l’aise.

À suivre :

La réédition du numéro 1 est prévue pour janvier 2023. Le prochain numéro est prévu pour octobre 2023. Vous pouvez vous tenir au courant via le compte Instagram de la revue Miels.

© Alexandre Schlub

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