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Arcadie : pas si ringards

Quarante ans après sa disparition, l’héritage du mouvement “homophile” Arcadie, fondé par André Baudry, mérite une réévaluation.

C’est une antienne qu’on entend désormais chaque année au mois de juin : les émeutes de Stonewall (juin 1969) représenteraient le point de départ du mouvement pour les droits des personnes LGBT+. Or, il existait déjà à cette date un militantisme homosexuel, aussi bien aux États-Unis qu’en France. De ce côté-ci de l’Atlantique, sa figure de proue était une association créée en 1954 par un ancien séminariste, André Baudry (1922-2018) : Arcadie.

Se définissant comme “homophile” plutôt qu’homosexuel, le groupe, qui édite une revue homonyme, prône une politique de “dignité” et de respectabilité, appelle à se fondre dans la société plutôt qu’à la renverser, dénigre les “folles”, mais cherche aussi à lutter contre les préjugés sur l’homosexualité.

Après Mai 68, Arcadie est ringardisée par l’apparition de mouvements plus virulents, comme le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), puis les Groupes de libération homosexuelle (GLH) et le Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (CUARH). Certain·es de leurs militant·es (Françoise d’Eaubonne, Daniel Guérin, Pierre Hahn…) ont pourtant fait leurs armes chez Arcadie. Même s’ils ont fini, bien souvent, par en claquer la porte, on peut y voir un indice que l’association a été pour eux une sorte de sas vers un militantisme plus offensif.

En outre, les années 70 sont aussi pour Arcadie, paradoxalement, une période de reconnaissance : médias et politiques lui donnent la parole pour essayer de comprendre avec elle le “douloureux problème” de l’homosexualité et Baudry continue son lobbying discret mais tenace pour réformer la législation homophobe. En 1973, la revue propose par exemple que les couples de même sexe aient le droit d’adopter des enfants, une idée alors extrêmement novatrice.

Cela n’enraye toutefois pas l’obsolescence, de plus en plus manifeste, d’Arcadie. Prenant acte de son décalage avec les aspirations de l’époque, Baudry met fin, il y a tout juste 40 ans, au mouvement qu’il avait créé, et le dernier numéro de la revue paraît à l’été 1982… au moment même où l’homosexualité est “dépénalisée” (en fait, où les relations homosexuelles avec des mineurs de plus de 15 ans sont décriminalisées). À Lyon, son délégué local, Michel Branchu, crée Aris, qui restera pendant plus de 30 ans l’une des associations phares du milieu gay et lesbien entre Rhône et Saône, avant de péricliter à son tour.

Symptomatiquement, c’est un historien britannique et non français, Julian Jackson, qui livrera, en 2009, l’étude la plus fouillée sur Arcadie. Une façon pour lui de “réévaluer”, sans en occulter les limites évidentes, ce mouvement pionnier.

À lire :

Arcadie : La Vie homosexuelle en France, de l’après-guerre à la dépénalisation, de Julian Jackson (Éditions Autrement, 2009). Disponible à l’emprunt à la bibliothèque du Centre LGBTI de Lyon, 19 rue des Capucins (permanences les mercredis de 18h30 à 20h30).

Journal d’Arcadie d’Aldric-Gury (Éditions Non-Lieu, 2016). En librairies. 

© Marie Hache

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