Go Fish représentations

Représentations : Les personnes LGBT+ face et sur l’écran

Hétéroclite vous propose cette année une nouvelle chronique autour des représentations des personnes LGBT+ dans différents médiums culturels. À chaque numéro, nous explorerons ainsi l’impact des jeux vidéos, des podcasts, des films ou encore de la télé-réalité sur la construction de nos identités et de nos désirs. Cet automne, parlons cinéma.

Au printemps dernier, la sortie de Heartstopper sur Netflix a produit un phénomène étonnant : a priori destinée à un public adolescent, cette série a fait couler les larmes des queers adultes et seniors, qui ont expliqué que leur vie aurait été bien plus douce s’iels avaient eu, plus jeunes, accès à des contenus similaires.

Grandir sans modèle

Aujourd’hui, la violence continue de représenter une part écrasante dans la construction de l’identité des personnes queers adolescentes. Mais ces dernières ont, dans le même temps, la possibilité d’avoir accès à des contenus (éducatifs, militants, fictionnels) qui leur permettent d’associer à des connotations – enfin – positives leur orientation sexuelle et/ou identité de genre. Depuis quelques années, les LGBT+ adolescent·es sont ainsi en train de se débarrasser d’une caractéristique qui était centrale pour les générations antérieures : celle de grandir sans modèle.

Ne se retrouvant ni dans les livres d’histoire, ni chez les personnalités politiques, ni chez les « stars » ou les personnes physiquement proches d’elles·eux (famille, ami·es), bien des personnes queers ont développé un rapport particulier aux fictions, et notamment au cinéma : les films grand public ont souvent été un premier lieu d’accès à des représentations de désirs et d’identités qui leur ressemblaient. Et si chaque individu a un rapport propre aux fictions, nos histoires, souvent, se recoupent. Pour ma part, j’ai réalisé que quelque chose clochait en 2009 en mangeant des popcorns avec deux amies devant le film Thirteen. Pas queer pour un sou, mine d’or de male gaze, Thirteen avait tout de même l’avantage de contenir une scène de baiser langoureux entre ses deux adolescentes principales. Une scène – regardée en boucle – qui avait provoqué un tremblement de terre en l’adolescente que j’étais : pour la première fois, je ressentais des papillons à la vue d’un baiser, et ne pourrai bientôt plus me défaire de l’idée de l’expérimenter dans la vraie vie.  

S’identifier coûte que coûte

Les identités queers ne se constituent donc pas en dehors, mais bien au sein des représentations culturelles : il existe de fortes connections entre le processus d’acceptation de nous-mêmes et les contenus qui mettent en scène des trajectoires de vies dans lesquelles nous sommes susceptibles de nous reconnaître. 

C’est ainsi que pour bon nombre d’entre nous, l’entrée dans la cinéphilie a pu être synonyme de découverte de nos identités… Mais aussi, et surtout, des connotations désastreuses qui y ont longtemps été associées. Car passé l’émoi de la découverte du désir lesbien à l’écran, je me souviens surtout de la déception liée au fait de voir que les seuls personnages qui me ressemblaient de près ou de loin, se déclinaient en une galerie de figures devenues clichées. 

Dans l’histoire du cinéma grand public, les personnages LGBT+ ont en effet été censurés, punis, associés à des figures prédatrices et perverses (il n’y a qu’à jeter un oeil à tous les « méchants » Disney), tournés en ridicule (Ace Ventura), ultra-sexualisés (La Vie d’Adèle, Cruel Intentions). Leurs relations amoureuses se sont cantonnées à des amitiés homo-érotiques ambigües jamais explicitées (Fried Green Tomatoes, La Corde), lorsqu’elles n’étaient pas soldées par un retour temporaire ou permanent à un·e partenaire hétérosexuel·le (The Kids Are All Right, Toute Première Fois), ou n’aboutissaient à une séparation tragique (Call Me By Your Name, La Belle Saison). La plupart du temps, surtout, ces personnages ont été mis en scène dans des contextes de violence, d’agression, de rejet, de meurtre et de suicide – Brokeback Mountain, Lost and Delirious, Boys Don’t Cry ou encore Prayers for Bobby, pour ne citer qu’eux.

En somme, alors qu’elles auraient justement pu être un lieu d’évasion et de refuge, de projection de soi-même dans un ailleurs – ou un futur – plus safe et épanouissant, les représentations queers mainstream n’ont pas su offrir aux spectateur·rices queers des modèles fictionnels qui les encourageaient à exister. Elles ne se sont, finalement, que très peu adressées à elles·eux. Les documentaires The Celluloid Closet et Disclosure, qui mettent en scène des personnes queers réagissant aux représentations cinématographiques ayant influencé leurs vies, problématisent très justement le poids de ces images dans l’inconscient collectif.

Regards queers 

Malgré ces représentations dommageables, les personnes queers sont pourtant toujours parvenues à se retrouver dans les images. À la fois derrière la caméra, en créant leurs propres représentations parfois sans ressource aucune (on pense à l’iconique Go Fish), mais aussi face à l’écran, en trouvant des formes d’identification dans des contenus qui n’étaient pas pensés pour elles. Qu’il s’agisse de voir en Libérée, Délivrée de la Reine des Neiges une allégorie du coming out, ou de déceler une histoire d’amour dans les marges du sous-texte de Luca, si les spectateur·rices queers ont un talent, c’est bien celui de vivre les oeuvres cinématographiques d’une façon qui en transforme le sens.

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