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Grand Entretien : Safia Nolin

Musicienne, chanteuse mais aussi tricoteuse, Safia Nolin est une artiste québécoise trop méconnue en France. Avec plusieurs EP influencés par Aznavour et Nirvana, elle sera de passage en France pour quelques dates au printemps,  à l’occasion notamment du festival Les Chants de Mars. Safia Nolin a accepté de nous rencontrer pour parler musique (évidemment), cinéma (forcément) et politique (inévitablement).

Votre dernier EP date de fin 2021. Pourra-t-on entendre de nouvelles chansons lors de votre passage aux Chants de Mars ? 

Safia Nolin : Oui, je sors une chanson en mars et j’ai plusieurs nouveaux morceaux que je joue en spectacle. Je ne sais pas exactement quand est-ce que je vais les sortir mais j’ai envie de le faire sous forme de singles plutôt que d’en faire un album ou un EP. Aux Chants de Mars ça sera donc mon répertoire habituel avec des nouvelles chansons.

Serez-vous seule sur scène ou accompagnée de musicien·nes ?

Je ne sais pas exactement encore [rires] ! Le spectacle était vendu duo mais mon guitariste ne peut pas venir et je ne sais pas si je peux le faire en solo. Si tout va bien, ce sera solo. Guitare acoustique avec des effets.

Vous avez pris l’habitude de publier vos chansons sous deux formes différentes : les sunrise versions (guitare-voix, assez doux) et les sunsets versions (avec d’autres instruments, plus rock). D’où vous vient cette idée ?

En fait je n’avais pas envie de choisir entre faire de la musique en groupe ou toute seule, parce que c’est très différent. Je n’avais pas envie de décider pour les gens mais surtout pour moi, du coup je laisse les gens choisir.

L’année dernière, vous avez participé au projet 1969 Collective. Pouvez-vous nous en parler ?

C’est un gars qui s’appelle Connor Seidel, il est producteur. Il a découvert sur le tard les années 70 qui étaient une période intense pour le Québec. Tout le mouvement d’indépendance, les gens étaient gourmands de toute la culture québécoise, probablement en opposition avec le reste de la culture canadienne. Il y avait un sentiment d’identité vraiment puissant et la musique était très bonne. Pas qu’elle soit moins bonne en ce moment mais c’était légendaire à l’époque. En France vous avez Edith Piaf, Charles Aznavour, nous au Québec c’est les groupes des années 70 [rires] ! Connor Seidel a découvert cela en retard et a décidé de faire un album avec des chansons originales. Il a demandé à plusieurs artistes de coécrire, composer des chansons et j’en faisais partie. J’ai adoré cette expérience, c’était vraiment trop le fun. L’album est vraiment nice, avec de belles chansons. Je suis vraiment fière d’avoir pu participer à ce projet-là.

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Considérez-vous que votre art est politique ?

Je n’ai jamais vraiment fait de musique engagée mais je suis une personne très politisée, radicale et qui s’exprime. Écouter ma musique, en tout cas au Québec, est devenu comme un positionnement politique. C’est comme si j’étais fichée extrême gauche. Donc j’imagine que oui mais je n’y pense pas du tout quand je fais de la musique. 

Avez-vous l’impression de subir cette politisation ?

Un peu mais ça me fait plaisir. J’utilise ma plateforme pour parler des affaires qui me tiennent à cœur. Souvent, ce sont des sujets relatifs à la sphère politique ou à la société mais qui ont un lien avec une quelconque décision récemment prise. Si tu écoutes ma musique au Québec, c’est très rare que tu ne sois pas à gauche.

Pensez-vous qu’il y ait une différence entre les gens qui vous écoutent au Québec et ceux qui vous écoutent en France ? Ici il y a peut-être moins de résonance vis-à-vis de votre personne ?

C’est une bonne question. Je ne sais pas si je le sens vraiment. Au Québec, beaucoup de gens ne m’aiment pas. C’est difficile à dire. C’est complètement différent de jouer en France, c’est une autre expérience.

De l’extérieur on peut avoir le sentiment qu’au Québec, vos chansons et vous-même êtes très connues alors qu’en France il n’y a que votre musique…

Ouais c’est ça. En France, ma musique est beaucoup plus mise en avant que la personne politique que je suis. Je débute et c’est vraiment cool. 

Comment vivez-vous le fait d’être entre Montréal et Paris ?

Je trouve ça vraiment nice. Quand je serai vieille je me dirai que je suis chanceuse, et je le suis déjà ! J’ai ma place au Québec et une place en France. Ça me fait vivre des expériences différentes, je rencontre d’autres gens. Ça me fait vivre une culture similaire mais qui n’est pas totalement la même. 

Ce n’est pas trop inconfortable d’être entre deux eaux ?

C’est sûr que parfois c’est difficile. Ça fait bizarre d’avoir des ami·es sur deux continents différents, des habitudes, des réflexes, des restos préférés… C’est dur de faire en sorte que ces deux mondes-là se rencontrent. Comme je passe beaucoup de temps en France, j’ai l’impression que mes relations au Québec sont impactées. Et inversement quand je passe beaucoup de temps au Québec.

Suivez-vous l’actualité politique française ? 

Oui, ça m’intéresse beaucoup. Je trouve juste que c’est plus désespérant. Au Québec quand tu te poses et que tu discutes avec des gens en leur demandant « est-ce que tu as déjà rencontré des personnes venant du Maroc, de l’Algérie ? Pourquoi tu ne les aimes pas ? », on tombe rapidement dans le « je ne sais pas ». En France en revanche, les gens ont un argumentaire assez béton, c’est ça qui me trouble. Je trouve ça déprimant. Les racistes sont éduqué·es, cultivé·es et fier·es de l’être. Une espèce de patriotisme bizarre. Au Québec, on est la descendance des colons français mais les racines sont floues. C’est un pays nouveau. Dire que tu es fier·e d’être Québécois·e ne veut jamais dire la même chose que de dire que tu es fier·e d’être Français·e. Je trouve que les Français·es sont extrêmement politisé·es. Les personnes votant à droite ou à l’extrême droite sont politisées. Je trouve ça triste.

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Vous avez l’impression que c’est conscientisé ?

Ils ont une explication à leur haine, leur discrimination et au fait qu’ils n’aiment pas les gens pas comme eux. Tandis qu’au Québec c’est souvent juste de la peur de l’inconnu, ce qui est davantage compréhensible. Disons que c’est moins pire. En France, je me suis pris des murs de déprime. Certaines personnes ont non-stop des arguments pour expliquer pourquoi elles n’aiment pas les noir·es. Je trouve ça terrible.

Vous parlez de racisme, avez-vous l’impression que c’est pareil pour les discriminations envers les personnes queers ?

C’est même pire. Le Québec n’est pas parfait mais la Manif pour Tous n’aurait jamais eu lieu. L’Église catholique est zéro puissante au Québec alors qu’en France elle est très présente, on la sent. Des villes comme Lyon où il y a beaucoup de cathos ça n’existe pas au Québec. Je trouve ça incroyable par exemple qu’Éric Zemmour ait autant d’audience. Des gens vont dire que tout le monde doit pouvoir s’exprimer, moi je ne suis pas d’accord. Je trouve que si quelqu’un a une vision qui discrimine les gens, qui amène à les détester, de la haine, ça n’a pas sa place à la télévision.

Au Québec il y a moins cette culture de la grève, de la manifestation ?

Ouais. Il y a des manifs mais plus de la société en général. Il y a des manifs mais des grosses grèves comme en France je ne crois pas en avoir déjà vues. La manifestation actuelle en France, personne ne peut dire qu’il ne la ressent pas ! C’est exceptionnel, bravo !

Pour terminer, pouvez-vous nous donner vos derniers coups de cœur musicaux et cinématographiques  ?

J’aime beaucoup November Ultra, je l’adore, je la trouve incroyable. J’ai récemment vu Banshees of Inisherin. C’est tellement beau, magnifique. La réalisation est folle ! J’aime beaucoup les films à côté de ce qu’on voit d’habitude. Il y avait des prises lentes, des paysages… À un moment, il y a une chèvre qui regarde la caméra… Y’a plein de trucs j’étais là… waouh ! Ce film m’a vraiment touché. J’ai aussi vu Corsage, sur l’impératrice Sissi. C’est un bon film mais quand j’ai fait des recherches, j’ai vu qu’il y avait eu des dénonciations sur un acteur et que l’actrice principale et la réalisatrice s’étaient mal positionnées. Quelques jours après, l’acteur a été arrêté pour pédocriminalité. Ça a complètement gâché mon expérience. Et mon film de 2022 ça a vraiment été Everything Everywhere All At Once.

À voir

Safia Nolin en concert le 18 mars 2023 au Ô Totem Live à Rillieux-la-Pape. 

Toute la programmation du Festival Les Chants de Mars, du 15 au 25 mars 2023 est disponible ici.

©Hamza Abouelouafaa

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