Françoise d'Eaubonne

Françoise d’Eaubonne : Lecture de rattrapage 

Les éditions Au diable vauvert ont choisi Le Sexocide des sorcières de Françoise d’Eaubonne pour inaugurer leur collection Nouvelles Lunes qui se veut écoféministe, queer, rebelle et radicale. Initialement publié en 1999 aux bien-à-propos éditions  L’esprit frappeur, ce texte est aujourd’hui considéré comme pionnier. 

Pionnier d’un long travail de compréhension, de considération et de diffusion de ceci qui aujourd’hui nous semble évident pour un peu qu’on ait les oreilles ouvertes au féminisme : la chasse aux sorcières comme apogée du patriarcat. Et la chasse aux sorcières comme illustration des indéfectibles liens entre domination masculine, annonce du futur règne capitalistique et enjeux écologiques. 

Françoise d’Eaubonne est connue pour l’invention de termes comme phallocrate et écoféminisme. Ici, c’est celui de sexocide qu’elle choisit pour nommer le massacre de femmes accusées de sorcellerie. Sexocide ou fantasme d’éliminer toutes les femmes et dont elle trouve les origines dès l’antique Grèce, au point de nous faire presque regretter de tant aimer sa mythologie, comme quand elle nous propose de relire ainsi le mythe de Narcisse qui « péri pour s’être uniquement voué à l’amour de sa propre beauté,[et qui] peut paraitre le symbole de cet arrêt que connu la société hellène au faîte de sa splendeur, faute de pouvoir s’ouvrir à l’altérité, dans l’ivresse de son logos uniquement pensé, senti et rédigé au masculin. »  On notera, même quelques millénaires après la noyade de Narcisse, le petit parfum d’intemporalité dans cette réflexion. 

Audacieuse pionnière

Malgré la richesse de ce texte, on pourrait se demander pourquoi lire – encore – un ouvrage à propos du massacre des dites sorcières. On a aimé le travail de Sylvia Federici paru en 2004 Caliban et la Sorcière  et on a soupé de celui de Mona Chollet Sorcières : la puissance invaincue des femmes  paru en 2019. Alors pourquoi lire Le Sexocide des sorcières ? Sans doute parce que ce bref travail nous permet de rencontrer Françoise d’Eaubonne et la puissance de sa pensée. Sans doute aussi pour éprouver l’audace qui fut la sienne d’affirmer en son temps des propos qui sont aujourd’hui à la limite de la mainstreamisation. Françoise D’Eaubonne fut elle-même une paria, une militante du siècle qu’elle a traversé : antinazie, antipsychiatrie, soutien à l’indépendance de l’Algérie, membre du MLF, co-fondatrice du FHAR et elle avait choisi d’écrire, des romans, des essais, le tout au prix d’une certaine précarité matérielle. 

Trop bruyante pour les uns, pas assez radicale pour les autres, il y a dans son parcours de vie comme dans ses écrits quelque chose de précieux et qui va au-delà de l’anticipation des combats politiques pour laquelle elle est louée aujourd’hui : il y a l’intelligence de la nuance dans la radicalité du propos. Comme quand elle différencie la parole de Jésus de celle du clergé catholique à propos des femmes ou quand elle fait l’éloge de la toujours trop discrète bisexualité. Être radicale sans cesser de se questionner, sans compartimenter les idées comme les êtres, voilà pourquoi lire Françoise d’Eaubonne est précieux, précieux et parfait pour de beaux débuts. 

À lire 

Le Sexocide des sorcières de Françoise d’Eaubonne (Au diable vauvert). En librairies.

1 commentaire

  • Vincent d'Eaubonne

    Bonjour Diane Rouzier, je trouve votre commentaire bien vu et bravo pour le choix de la citation. Mon frère Alain a fait une actu avec un lien vers votre site.

    En 99, Françoise aborde d’une certaine manière une nouvelle période d’écriture. On pourrait, par paresse d’esprit, philosopher sur son âge qui-lui-donne-du-recul, toussa toussa… La vieille enragée n’a rien perdu de ses indignations par contre, pour la première fois dans sa vie, elle bénéficie d’un logement décent, dans le collectif pour vieilles et vieux artistes de la rue de Montparnasse.

    Et cela n’est pas pour rien dans son écriture qui gaggne une capacité de recul que sa vie de combat ne lui a pas permis de developper autant que son potentiel le lui permettait. Celle-ci a par contre entetenu sa rage salutaire déjà nourrie par ses visions fulgurantes.

    Ce sera “La liseuse et la Lyre” dont je lui ais dit qu’il justifiait une vie d’écriture, “L’évangile de Véronique”, très fort aussi, et d’autres…

    Le 16 et 17 septembre, 2 projections à Paris du très bon “Françoise d’Eaubonne une épopée écoféministe” de Manon Aubel, où nous serons présent avec Alain, précisions à venir dans les actus son son site, n’hésitez pas à passer, on fera connaissance !

    Et , pour vous remercier et parce que vous aimez le sens de la formule de Françoise (au cas ou vous ne connaissiez pas celle -là) :

    “Je lègue à tous ceux qui m’ont aimée et me liront ou m’ont lue avec compréhension la haine irréductible d’une société plus immonde que toutes celles qui l’ont précédée, l’amour des hommes et des femmes qu’elle broie et dégrade de toutes les façons et à tous les niveaux, l’amour de l’environnement à ressusciter s’il est encore possible, et le soin de continuer la lutte contre le pouvoir patriarcal et impérialiste que mes dernières forces se seront employées à maudire et mes derniers écrits à combattre. Bonsoir tout le monde”

    Amicalement, Vincent

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.