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Rupert Everett nous parle de son film “The Happy Prince”

Cela faisait longtemps qu’on n’avait plus vraiment de nouvelles de Rupert Everett en dehors d’apparitions fugaces ici ou là, comme dans le dernier Tim Burton. La star gay des années 80-90, l’acteur de Another Country et du Mariage de mon meilleur ami, revient devant et derrière la caméra dans un rôle qui lui va comme un gant : celui d’un Oscar Wilde avec lequel il partage plus d’une caractéristique…

  

The Happy Prince est un film très émouvant, mais j’ai eu l’impression que c’était autant parce que vous parliez des dernières années d’Oscar Wilde, ces années d’exil sous une fausse identité, que parce que c’était un film très personnel, et qu’à travers Wilde vous parliez de vous. Est-ce que je me trompe ? 

Je ne sais pas. Peut-être. Vous savez, Oscar Wilde, pour moi, c’est le Christ, c’est la figure du Christ. Travailler dans le show business, être gay dans un monde hétéro, ma sexualité très imbriquée avec ma carrière… il y a des points communs, mais à une autre échelle. Je ne me compare pas à lui. Oscar Wilde a été crucifié par la société. Pas moi, heureusement ! Pour le monde homo, le chemin vers la liberté a été tracé par Wilde, il y a un avant et un après lui, un avant et un après le procès. À son époque, homosexuel n’était même pas un mot, vous vous rendez compte ! Et pourtant, il fut le premier personnage public à être out ! Le premier dans le monde moderne ! Et il était si célèbre ! C’était Rihanna ! Quand on le voyait à Paris par exemple, on disait « c’est Oscar Wild», bien sûr, mais on pouvait aussi dire « c’est un homo ».  

 

Quand je disais que vous parliez de vous, je voulais dire qu’en filmant la déchéance dont Wilde a été victime en raison de son homosexualité, vous évoquiez aussi la manière dont votre propre homosexualité publiquement assumée à Hollywood — et là aussi, vous étiez l’un des seuls, dans les années 90 — avait eu des conséquences négatives sur votre carrière, vous avait empêché d’obtenir des rôles auxquels vous auriez pu prétendre… 

Oui, oui. Bien sûr. En 2006, ma carrière s’est arrêtée. Vraiment. Plus de rôles, plus de bons films, plus de films du tout. On ne m’a pas dit que c’était parce que j’avais joué trop d’homos… Mais c’est vrai que j’en ai joué beaucoup ! Le problème, c’est que je n’ai pas été capable de passer à d’autres types de rôles. Oscar Wilde a dû s’exiler, et moi, à mon niveau, je me sentais en exil de ne plus avoir de rôles. Alors, comme j’avais déjà écrit quelques livres, j’ai imaginé de m’écrire un beau rôle, un grand rôle, celui qu’on ne me proposait plus, et de tout mettre dedans, body and soul ! 

 

Et ce fut Wilde. Cela a été une évidence ? 

Je crois que cela a toujours été dans ma tête, que j’ai toujours été attiré par son histoire, qu’il fait partie de moi. Quand je dis que c’est mon saint patron, cela veut tout dire. 


« L’histoire de Wilde, c’est toujours l’histoire des homosexuels aujourd’hui dans une grande partie du monde, une histoire de vie et de mort. »

 

Rupert Everett The Happy Prince 1

Vous vous sentez une dette vis-à-vis de lui ? C’est ce qui a motivé ce film ? 

Une dette non, mais je ressens une affinité très forte. Il m’inspire, comme le Christ inspire un chrétien. Quand les chrétiens regardent la croix du Christ, ils voient leur propre croix, toute petite, à côté de celle du Christ, très grande. Cela les soulage, les inspire. Oscar Wilde pour moi, c’est cela. 

 

Vous avez une très longue fréquentation de Wilde, vous avez joué ses pièces au cinéma et au théâtre — dont L’Importance d’être constant, il y a quelques années à Paris, en français —, vous l’avez interprété sur scène pendant plusieurs mois… Vous vous sentez proche de lui ? 

 Ma rencontre avec Oscar Wilde est bien plus ancienne que cela ! Au tout début de ma vie, quand j’étais un enfant, ma mère m’a lu le conte Le Prince Heureux, qui donne son titre à mon film, et dont on entend quelques phrases comme «?Il n’y a aucun mystère aussi grand que la souffrance?». Je m’en souviens très bien. C’était une période confortable. Je viens d’une famille conservatrice, un peu rigide, mon père était militaire, on n’exprimait pas ses sentiments. Il y avait de l’amour bien sûr, mais cela ne se disait pas. Là, cette histoire qui parlait d’amour, c’était nouveau pour moi, cela m’a marqué.

Après, à 16 ans, il y a eu mon arrivée à Londres dans le petit monde homo. C’était un tout petit monde : l’homosexualité n’était légale que depuis sept ans en Angleterre. Vous vous rendez compte ? Il y avait encore des descentes de police qui profitait de l’ambiguïté de la loi sur la séparation entre lieux publics/lieux privés, ce qui était était interdit en public et permis en privé… Il y avait des rafles. Oscar Wilde était un nom que tout le monde connaissait dans ce petit monde bizarre, où il n’y avait ni classes, ni âges, où tout le monde se connaissait : c’était comme un mot de passe, cela me faisait penser à lui.

Après encore, il y a eu ma venue à Paris — comme le personnage dans le film ! —, et ça a changé ma vie pour toujours. Dans ce Paris des années 70-80, avant les grands travaux et les destructions de quartiers historiques par Chirac, on voyait beaucoup mieux le XIXe siècle, on imaginait cette époque facilement. C’est là que j’ai lu la biographie d’Oscar Wilde. Puis ma vie d’acteur a commencé et, comme vous le disiez, j’ai retrouvé Wilde souvent. 

 

Pourquoi avoir choisi de filmer cette période assez peu connue de ses deux dernières années de vie, après la sortie de prison, après le procès, et bien sûr après la gloire qui n’apparaît que par éclats, dans des flasbacks très rapides ? 

 Il existe plusieurs films déjà qui parlent de l’avant, qui reconstituent le procès, mais j’ai toujours eu l’impression qu’ils avaient eu peur d’affronter le vrai sujet de la vie de Wilde, cette façon dont la répression de son homosexualité l’a brisé. C’est toujours un sujet à vif. L’histoire de Wilde, c’est toujours l’histoire des homosexuels aujourd’hui dans une grande partie du monde, une histoire de vie et de mort. J’ai voulu faire un film historique qui soit aussi actuel. 

Rupert Everett The Happy Prince 1
 « J’adorais la vie homo quand j’étais jeune, j’ai adoré la vie avec les gays, cette culture homo incroyable des années 70-80 […]Pour moi, c’était aussi excitant que la vie d’acteur cette vie homo ! » 

 

Vous avez passé presque une décennie à essayer de faire exister ce film, à l’écrire, à chercher de l’argent partout en Europe (dailleurs, il n’y a pas un euro français alors que Wilde est mort et enterré à Paris !), à le réaliser, à vivre en quelque sorte avec ce personnage d’Oscar Wilde en permanence en vous. Diriez-vous que c’est le rôle de votre vie ? 

Je n’aime pas beaucoup cette idée, ça voudrait dire que c’est fini. J’espère que j’ai un futur ! Mais bien sûr, dix ans, c’est un cycle de ma vie, c’est énorme. J’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir à ce personnage, à cette vie, et j’espère que ma version est correcte. Le rôle de ma vie je ne sais pas, mais je suis fier, très fier, de l’avoir joué. Et je serais content que ce film rappelle combien Wilde a été important, qu’il inspirera d’autres artistes. 

 

Vous n’avez jamais regretté de ne pas avoir caché votre homosexualité ? 

Jamais ! Comment pourrais-je regretter ? J’adorais la vie homo quand j’étais jeune, j’ai adoré la vie avec les gays, cette culture homo incroyable des années 70-80. Je ne pouvais pas éviter d’y aller, d’y participer. Je n’allais pas mentir, ce n’était pas la peine de faire semblant ou de dire que j’étais hétéro. J’ai juste été honnête, ce n’était pas un choix. Pour moi, c’était aussi excitant que la vie d’acteur cette vie homo ! 

 

Vos projets ont un lien avec cela je crois ? 

Oui. J’ai un projet de film qui se passe à Paris en 1977, quelque chose de très autobiographique… 

 

LE FILM 

Le Wilde qu’on connaît, c’est le roi des scènes londoniennes, le dandy aux innombrables bons mots, l’homme qui connut le déshonneur d’un procès en 1895 en raison de sa liaison avec le jeune et beau Bosie. C’est un autre Wilde que Rupert Everett a choisi d’évoquer pour sa première mise en scène, un Wilde en bout de course, à peine sorti de la geôle où il a croupi deux ans, un homme brisé qui doit s’exiler sous un faux nom — Sebastian Melmoth — pour qu’on accepte de le recevoir dans les hôtels français, un homme que l’argent fuit, et qui ne peut plus guère compter que sur de rares amis… The Happy Prince raconte ces deux dernières années d’errance, entre Naples et Paris, où il n’est plus qu’une ombre, grandiose encore même dans les bouges, mais sans avenir. Le film, même s’il n’est pas parfait, est déchirant tant le portrait qu’Everett fait de Wilde est passionné, comme investi d’une mission de réhabilitation. Et c’est beau. 

 

The Happy Prince, de et avec Rupert Everett, avec Colin Firth, Colin Morgan, Edwin Thomas… En salles le 19 décembre. 

 

 

 © William Baker, Beta Cinéma – Wilhelm Moser

 

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