Kevin Bentley San Francisco

Kevin Bentley ressuscite un San Francisco disparu

Avec Mes Animaux Sauvages, Kevin Bentley revient sur 20 années de vie, de sexe et de lecture à San Francisco, de la fin des années 1970 aux années 1990.

Quiconque a lu Les Chroniques de San Francisco d’Armistead Maupin est en mesure de se figurer vaguement à quoi ressemblait la vie des gays débarqués dans la ville californienne au cours des années 1970. On retrouve indéniablement le souffle émancipateur qui faisait vibrer la cité dans Mes Animaux Sauvages de Kevin Bentley. Mais là où Maupin propose une fresque chorale parfois rocambolesque, Bentley opte pour un récit à la première personne et pointilliste.

Kevin Bentley San Francisco

L’ouvrage est en effet un journal intime retraçant l’arrivée de Kevin Bentley, fraîchement débarqué de son Texas natal, en août 1977 à San Francisco jusqu’au 30 novembre 1996. C’est avec entrain qu’on suit l’émancipation sexuelle du jeune homme, décrite de manière précise et avec force détails. Les garçons, les amants de passage, les crushs se succèdent au fil des pages et donnent à voir toutes les typologies de la communauté gay d’alors, sans que Bentley ne cherche à dresser une étude sociologique. Il se place au niveau du privée, de son expérience personnelle et donne ainsi aux lectrices et lecteurs l’impression de vivre avec lui comme des insiders.

Une subtile toile de fond

Bentley ne fait jamais le choix des vues d’ensemble, des réflexions générales sur la politique ou la marche de l’histoire mais fait plutôt entendre en arrière plan la rumeur de la ville et des événements. Ainsi, il évoque les marches en l’honneur d’Harvey Milk, suite à son assassinat, auxquelles il ne prend pas part, faute d’ami·es avec qui s’y rendre. Et alors que le livre enjambe les années 1980, l’épidémie de sida, pourtant dévastatrice à l’époque, n’est présente qu’en sourdine, toujours envisagée de biais, sans jamais être le sujet principal.

Un telle approche peut avoir de quoi surprendre, mais ne saurait trahir un désintérêt de la part de l’auteur. Très finement, l’atmosphère des débuts s’estompent, les attentes et les envies de Bentley se modifient et les rapports sexuels débridés du début font place au safe sex. Sans grande déclaration, l’auteur instille les modifications subtiles auxquelles s’est trouvée confronter toute une génération. Ce choix, Bentley le justifie d’ailleurs dans une postface datant de 2020, expliquant que le militantisme et l’épidémie sont des thèmes qu’il a déjà traités, ailleurs, différemment. Que ce n’est pas le sujet des Animaux Sauvages.

Kevin Bentley Golden Gate

 

Lui qui a été libraire et éditeur préfère ponctuer ses aventures sexuelles de remarques sur ses lectures en cours. Et en effet, à travers les coups d’un soir, la recherche de l’amour, les repas entre ami·es, les livres lus, les films vus, c’est une communauté d’affections électives que fait émerger du passé Bentley. Une galerie de fantômes, un monde disparu tel le Golden Gate s’effaçant progressivement alors que la brume monte lentement de la baie de San Francisco.

Kevin BentleyMes Animaux Sauvages de Kevin Bentley (Philippe Rey). En librairies.

La parenthèse enchantée, San Francisco 1975-1981, disponible en podcast sur France Culture.

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