Gayphéméride avril Taubira Haring

Gayphéméride du 7 avril au 4 mai : Genet, Taubira, Haring…

Notre chroniqueur Didier Roth-Bettoni fouille les archives et les mémoires LGBT+ afin de constituer son Gayphéméride, une histoire LGBT+ au jour le jour illustrée par Marie Hache. Ce mois-ci : Jean Genet, Christiane Taubira, Keith Haring…

7 avril 1994 : programme unique

Programme unique sur les 6 chaînes hertziennes alors disponibles : 6 heures durant, la première édition du Sidaction bénéficie d’un dispositif exceptionnel ! 23 millions de téléspectateurs regardent et écoutent les témoignages d’anonymes, les reportages pédagogiques, les interventions de personnalités… : autant de manières d’informer le grand public sur une maladie à l’époque très mal connue (beaucoup croient encore que le sida ne touche que les gays et les usagers de drogues), et pour laquelle les traitements efficaces sont encore inexistants. Parmi les moments forts : le baiser sur la bouche de Clémentine Célarié à un séropositif alors que nombre de gens pensent encore que l’on peut se contaminer par la salive. Si l’audience est massive, les dons le sont moins. Il faudra attendre plusieurs semaines pour récolter quelques 300 millions de francs (environ 45 millions d’euros).

14 avril 1986 : mort d’un poète

Et descend vers le soir pour chanter sur le pont
Parmi les matelots à genoux et nus tête
L’ave maris stella. Chaque marin tient prête
Sa verge qui bondit dans sa main de fripon.

Et c’est pour t’emmancher, beau mousse d’aventure
Qu’ils bandent sous leur froc les matelots musclés.

Poète, écrivain, cinéaste d’un seul film à l’homoérotisme tétanisant (Un chant d’amour, 1950), auteur sulfureux de Notre-Dame-des-Fleurs, des Bonnes, de Querelle de Brest ou de ce Condamné à mort écrit en prison, en 1942, Jean Genet meurt à Paris à 75 ans.

15 avril 1894 : naissance de l’impératrice du blues

Elle disait : “Il y a 12 femmes avec moi sur scène, je pourrais en avoir une chaque soir dans mon lit.Bessie Smith naît dans une famille noire pauvre et entame sa carrière grâce à la chanteuse Ma Rainey, qui devient son mentor et son amante. Toute sa vie, elle va être une rebelle, défiant les conventions, chantant comme personne, d’une voix chaude et puissante, la condition de vie des Noir·es américain·es, leur fatigue et leur colère sourde, dans un pays où régnait la ségrégation. Première chanteuse noire à triompher auprès du public blanc dans les années 1920, on la surnomme L’Impératrice du blues. Mariée deux fois, elle multiplie les aventures avec des femmes et ose chanter les amours homosexuelles (It’s dirty but good). Mais le succès va et vient, et elle meurt en 1937 dans le dénuement après un accident de voiture, parce qu’il fallut des heures avant qu’elle ne soit transportée dans un hôpital réservé aux Noir·es.

18 avril 1983 : lesbienne, noire, primée

Pour la première fois, un roman écrit par une femme noire obtient le prix Pulitzer, le plus prestigieux prix littéraire américain : Alice Walker est récompensée pour La Couleur pourpre, dans lequel Celie, jeune fille noire violée par son père, battue et humiliée par son mari, trouve le chemin de son émancipation dans les bras d’une chanteuse… Steven Spielberg en tirera un film deux ans plus tard, avec Whoopi Goldberg dans le rôle de Celie.

19 avril 1989 : festival non mixte

Les événements en non-mixité choisie ne datent pas d’aujourd’hui… En témoigne le festival Cineffable créé cette année-là, ce qui en fait le plus ancien festival LGBT+ toujours en activité de France. D’abord intitulé Quand les lesbiennes se font du cinéma, ce festival consacré aux réalisatrices est depuis l’origine un espace safe réservé aux femmes.

23 avril 2013 : un discours historique

Nous savons donc que nous n’avons rien ôté à personne, qu’au contraire nous avons reconnu, par ce texte, les droits de nos concitoyens dont la citoyenneté était sournoisement contestée, et aussi ouvert des droits à tous les autres couples. C’est donc incontestablement un texte généreux que vous avez voté aujourd’hui, et nous vous en savons définitivement gré. Nous savons aussi qu’il faut parler à celles et ceux qui ont été blessé·es ces jours derniers par des mots, des gestes, des actes  leur dire qu’ils sont pleinement dans la société et que la responsabilité de la puissance publique est de lutter contre les discriminations, que c’est une exigence du pacte républicain. (…) Alors nous leur disons : si vous êtes pris de désespérance, balayez ces paroles qui vont s’envoler ! Restez avec nous, gardez la tête haute, vous n’avez rien à vous reprocher ! Nous le disons haut et clair, à voix puissante parce que, comme le disait Nietzsche, les vérités tues deviennent vénéneuses.

Discours de Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, après le vote solennel de la loi sur le mariage pour tous à l’Assemblée Nationale.

Gayphéméride avril Taubira

27 avril 1953 : la menace homo

Dwight D. Eisenhower, président des Etats-Unis, signe le décret 10450 qui assimile les gays et les lesbiennes employé·es par l’administration fédérale à des menaces pour la sécurité nationale en raison des risques de chantage dont ils et elles pourraient être victimes… C’est le début de ce qu’on appellera le Lavender Scare (le péril mauve, en référence au péril rouge communiste) et qui aboutira au licenciement de plus de 5000 personnes soupçonnées d’homosexualité. Il faudra attendre le milieu des années 1970 pour y mettre définitivement un terme.

30 avril 1997 : coming out télévisé

Sous le titre inoffensif The Puppy Episode (l’épisode du chiot), c’est un tremblement de terre qui se produit à la télévision américaine puisqu’il s’agit du coming out d’Ellen, l’héroïne de la série éponyme interprétée par Ellen DeGeneres. Pour la première fois, le personnage central d’une sitcom  est officiellement homosexuel ! Cette annonce suit de quinze jours celle faite par l’actrice elle-même, qui a révélé son homosexualité dans le talk show d’Oprah Winfrey. 44 millions de téléspectateurs regardent le Puppy Episode, et Ellen devient une icône LGBT+. Elle devient aussi une cible pour les homophobes comme le télévangéliste ultraconservateur Jerry Falwell qui la surnomme “Ellen DeGenerate” et signe une pétition dénonçant l’émission comme une “tentative flagrante de promotion de l’homosexualité”…

1er mai 1971 : A bas la dictature des “normaux” !

Pour la première fois en France, les homosexuel·les manifestent ! Les militant·es du tout jeune FHAR (le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, créé en mars) participent, en queue de manifestation, au traditionnel défilé des syndicats en ce jour de Fête du travail.  Compte-rendu par le journaliste/philosophe/militant Guy Hocquenghem dans le Rapport contre la normalité : “Au lieu de défiler « dans l’ordre et la dignité », comme ces boy-scouts pour qui célébrer la Commune, qui est la fête traditionnelle du prolétariat révolutionnaire, doit être aussi solennel qu’ennuyeux, on dansait, on s’embrassait, on se caressait, on chantait : les pédés sont dans la rue ! Vive la révolution totale ! et les chansons du MLF à l’adresse de ceux qui nous regardaient passer avec sympathie ou avec horreur ! Nous nous adressions aussi aux gauchistes : Les lycéens sont mignons ! Nous sommes tous des obsédés sexuels ! Vive l’amour ! Bureaucrates, faites-vous enculer, c’est un plaisir fou ! Nous avons hurlé notre refus total du vieux monde : À bas la famille ! Et, en passant devant une colonne de gardes mobiles (…) nous avons chanté : CRS, desserrez les fesses ! Et gauchistes, vous aussi ! Notre comportement joyeux a fortement déplu, bien sûr, aux gauchistes respectables. Visiblement, ils se sentaient visés par notre grande banderole : À BAS LA DICTATURE DES « NORMAUX » ! et par notre détermination trop voyante à leurs yeux de ne plus nous laisser étouffer, censurer, normaliser.

3 mai 1989 : mort d’une pionnière

Le décès de Christine Jorgensen, c’est la mort d’une pionnière. Cette Américaine née en 1926 a en effet été la première femme transgenre connue dans le monde entier, quelques années avant la Française Coccinelle. Quand en 1953, Christine Jorgensen descend de l’avion qui la ramène du Danemark où elle a subi une opération de réassignation sexuelle, une foule de journalistes et de curieux l’attend. Elle raconte sans problème son histoire et devient une célébrité. Elle enregistre plusieurs chansons dont I Enjoy Being a Girl (J’adore être une fille) et a même son propre spectacle. Elle fréquente Roger Moore et se fait une place à Hollywood où un film (The Christine Jorgensen story) est consacré à son histoire. Elle est de tous les événements mondains et est élue Femme de l’année par la société scandinave de New York. Mais quand elle désire se marier, on le lui interdit sous prétexte que son acte de naissance la présente toujours comme étant de sexe masculin. Jusqu’à sa mort, elle fait des conférences à travers les Etats-Unis et milite pour la reconnaissance des droits des personnes LGBT+.

4 mai 1958 : naissance d’un bébé rayonnant

Gayphéméride avril Haring

Keith Haring aura à peine 20 ans lorsqu’il créera son image iconique : le Radiant baby, joyeux pictogramme d’un bébé entouré de rayons symbolisant l’innocence, la joie, l’énergie et la foi en l’avenir. Le très queer Club 57, lieu mythique de la nuit new-yorkaise du début des années 1980 où l’on croisait des débutant·es appelé·es Madonna, Klaus Nomi ou Jean-Michel Basquiat, est en effet le cadre choisi par le jeune Haring pour son bébé rayonnant qu’on ne va plus cesser de voir décliner sur une forme infinie de supports. Porté par l’énergie de la nuit, l’art de Haring l’est aussi par celle de la ville : il envahit ainsi les couloirs du métro et les murs de l’East Village avec ses petits personnages frénétiques, s’imposant comme le maître absolu du street art. Pourtant, c’est une autre énergie qui rend si puissantes et uniques les œuvres de Keith Haring, et en fait un artiste majeur de la période : “L’énergie sexuelle est peut-être l’impulsion la plus forte que j’aie jamais ressentie – plus que l’art ? (!)” dira-t-il, en écho à sa vie sexuelle débridée à l’époque. Ses dessins hantés de bites énormes, de couples gays faisant l’amour, d’orgies… en portent témoignage. Pourtant, très vite, le sida qui décime la communauté gay dans ce milieu de la décennie 1980 se met à hanter ses œuvres, plus encore lorsqu’il apprend sa séropositivité en 1988. Lui qui, depuis ses débuts, a fait de ses créations une manière de s’engager pour de multiples causes (l’écologie, la dénonciation de l’Apartheid, du racisme, du nucléaire, des médias dominants ou de l’homophobie…), se lance dans la lutte contre la maladie, créant une Fondation, et faisant apparaître le sida que ce soit dans la gigantesque fresque qu’il peint à Barcelone (Todos juntos podemos parar el sida) ou United (Aids), grand tableau montrant un malade du sida aux allures monstrueuses, portant une croix rouge, comme un pestiféré. Il perd son combat contre la maladie le 16 février 1990, à 31 ans.

© illustrations Marie Hache

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