A Good Man

A Good Man suscite la polémique

Sur une petite île bretonne, un couple désire un enfant. Banal ? Oui. Et non. Car c’est Benjamin, un homme trans, qui décide par amour de porter leur enfant… 

Réalisatrice et productrice, Marie-Castille Mention-Schaar n’a jamais eu peur des sujets qui bousculent la société. Après l’embrigadement islamiste dans Le Ciel attendra, elle aborde dans A Good Man un thème jamais traité par le cinéma français : la parentalité trans. Elle le fait sans discours, avec une évidence et une sensibilité qui ont de quoi toucher un grand public qui ne connaît rien à ces problématiques, qui s’en fiche quand il n’en est pas effrayé. Sans être un grand film, A Good Man est ainsi un film qui ne manque pas d’importance. Et si on peut regretter le choix d’une actrice cis pour incarner un homme trans, force est de saluer la composition de Noémie Merlant. Alors que des polémiques sont vite nées quant à sa décision, la cinéaste s’en explique.

Quel est le point de départ de ce film au sujet inédit en France ?

Marie-Castille Mention-Schaar : J’ai participé au documentaire Coby, qui suit le processus de transition de Jacob Hunt, qui est réalisé par mon ancien assistant réalisateur Christian Sonderegger. Pendant le tournage, je parle à Jacob de cette discussion qu’il a dans le documentaire avec son frère aîné, sur ce dilemme auquel je n’avais jamais songé, celui d’avoir très envie d’être parent, de devenir père, alors qu’il a une compagne qui est terrifiée par l’idée de la grossesse. Il dit ainsi à son frère, alors qu’il est à quelques mois de son hystérectomie : “Si on veut avoir un enfant de la manière la plus naturelle possible, et bien ça ne peut être que moi qui porte notre enfant”. Ce qui n’était pour lui pas simple du tout. A la fin, il fait son hystérectomie et il ne va pas plus loin dans sa démarche. Mais moi, cette discussion m’a complètement chamboulée, car il y a quelque chose de vertigineux là-dedans et en même temps de si simple… À priori, il n’y a rien de plus simple que d’avoir un enfant, et en même temps ça peut être si compliqué, on peut vous mettre tellement de bâtons dans les roues… Moi qui ai toujours un peu remis en cause les rôles de mère, de père, ça m’a fascinée et j’ai commencé à rechercher là-dessus.  

Vous êtes-vous posée la question de votre légitimité à traiter cette histoire ? Avez-vous envisagé de la confier à un réalisateur ou une réalisatrice trans ?

Jamais. Un cinéaste pour moi a toutes les légitimités, sinon ce serait terrible de penser qu’un réalisateur ne peut réaliser que des histoires qui le concernent, qui concernent sa vie. Cette étroitesse-là, ce serait réduire le cinéma à rien. Je ne veux même pas y penser. A partir du moment où on traite un sujet avec sincérité, avec crédibilité, où on bosse dessus, tout le monde doit pouvoir écrire, raconter, réaliser, mettre en scène les histoires qu’il veut.

Justement, comment avez-vous travaillé le scénario ?

J’ai déjà beaucoup discuté avec Jacob, avant de rencontrer plusieurs hommes trans qui étaient devenus parents. J’ai communiqué avec plusieurs hommes trans ayant porté leur enfant aux Etats-Unis, j’ai regardé tout ce que je pouvais comme documentaires, notamment sur Thomas Beattie, etc. Ensuite, j’ai fait relire au fur et à mesure du scénario par des personnes concernées, pour leur validation, leurs corrections… D’ailleurs ils et elles sont au générique du film.

Pourquoi avoir choisi Noémie Merlant pour le rôle de Benjamin plutôt qu’un acteur trans ?

J’ai rencontré des acteurs trans. Pas beaucoup. Parce que déjà, pour accéder aux, il n’y avait pas d’annuaire — aujourd’hui, ça y’est, il y en a un, un peu grâce à A Good Man d’ailleurs. Je demandais aux directrices de casting avec lesquelles j’ai l’habitude de travailler “Comment je peux rencontrer des acteurs trans ?” Et il y a un directeur de casting qui était beaucoup plus introduit dans ce milieu. Je l’appelle, il me dit “J’adore vos films, j’aimerais beaucoup travailler avec vous”, je lui envoie le scénario et là il me dit “Je refuse de travailler sur ce film”. Du fait que je ne sois pas trans, il a décidé de me couper l’accès, alors que son rôle c’est quand même de donner l’opportunité à des comédiens et des comédiennes de travailler… J’ai rencontré trois comédiens trans, ce qui est très peu, dont Jonas [Ben Ahmed], parce que j’avais besoin d’une certaine notoriété, et Jonas était celui qui a priori avait cette petite notoriété. Je lui ai fait passer des essais pour Benjamin, pour le frère de Benjamin. Mais quand on s’est rencontrés avec Jonas, il m’a dit que pour lui, son but, c’était pas d’interpréter éternellement des rôles de personnages trans. Et quand il a lu le scénario, il m’a dit : “Je n’avais pas compris qu’on voyait le personnage avant sa transition”, et ça pour lui, c’était extrêmement compliqué. Je ne parle même pas de la partie grossesse, parce que encore une fois, des comédiens trans qui ont été enceint, ça réduit très fortement. C’est là qu’à un moment donné, le raisonnement de l’expérience intime des comédiens pour jouer un personnage a ses limites. Jonas m’a dit “Je pense que je n’en suis pas capable, c’est difficile à porter, c’est énorme”. Il a été très honnête. Et j’ai eu un coup de cœur pour lui, donc je lui ai proposé de jouer un personnage secondaire, parce qu’il a besoin d’expérience — il n’avait jamais fait de long métrage. Et là je pense qu’il est très important d’ouvrir le carnet des comédiens et comédiennes trans pour qu’ils·elles travaillent, qu’on leur donne la possibilité d’être connu·es… C’est ce que j’ai voulu faire avec Jonas : qu’il acquière une première expérience. Dans le prochain film que je prépare, il tient un rôle plus important. Et si tout va bien, ce sera de plus en plus important à chaque fois.

Pour interpréter le personnage de Benjamin, il fallait un ou une interprète qui ait une expérience, qui ait une technique qui soit importante, parce que c’est un personnage qui est compliqué. C’est vrai que Noémie, j’avais déjà tourné trois fois avec elle. Et pour en avoir parlé avec elle souvent, je savais que c’était un sujet qui la touchait et qu’elle serait capable de l’interpréter. Elle n’a pas eu de doutes quand on s’est lancées dans l’aventure. Noémie a toujours été questionnée par la question du genre, c’est quelque chose qui est assez fort en elle, donc bien sûr il y a eu une préparation physique, mais elle s’y est mise d’une manière tellement intense, longtemps avant qu’on tourne. Elle a eu besoin de travailler avec Jonas, avec plusieurs amis trans avec qui elle a beaucoup parlé, qui sont venus sur le tournage, qui l’ont aidée et qui n’ont eu de cesse de lui dire quelle était légitime, quelle était tellement bien dans son incarnation, et ça c’était génial. D’où d’ailleurs le choc pour elle, la blessure suite aux attaques, où elle s’est remise tout à coup en question. Moi, je voulais tellement que ce soit juste, j’étais un peu le garde-fou : si je sentais que quelque chose n’allait pas ou que le spectateur pourrait sortir du personnage pour ne voir que la performance d’actrice, j’arrêtais.

Avez-vous été surprise vous aussi par ces attaques ?

Je m’y attendais, oui et non. Mais moi, je suis tellement pour le dialogue. La première projection du film a eu lieu au festival de Deauville, et j’ai vu qu’il y avait sur les réseaux sociaux un appel à boycotter, à faire une manifestation. J’en ai parlé avec Jonas. Il connaissait une des personnes qui avaient lancé l’appel. Je lui ai dit que je voulais le rencontrer, parler avec lui, et surtout je voulais qu’il voit le film ! Donc je les ai invités à une projection, et je crois qu’ils ont été touchés. Des critiques il y en aura toujours, et c’est normal, parce qu’il y a un combat que je comprends. Par contre, on a commencé un dialogue, qu’on continue, et qui pour moi est plus important que cet affrontement un peu stérile, parce que c’est ensemble qu’il faut travailler, qu’il faut faire progresser les choses. Moi, ça ne déstabilise du tout. Je fais des films pour le public le plus large possible. Et ce qui m’intéresse, c’est que quelqu’un qui se dit “Je ne suis pas du tout concerné par ce sujet”, qui a des a priori complètement négatifs sur ça, en voyant le film en ressorte en se disant “C’est quoi le problème ?”. Qu’il se sente touché par une histoire qui est très loin de lui ou d’elle, parce que ça parle d’une chose tellement basique : le désir d’enfant, une histoire d’amour, avoir envie de devenir parent… C’est à cela que je voulais parvenir.

Parmi les critiques portées par les militant·e·s trans, il y a aussi votre utilisation de flashbacks pour montrer Benjamin avant sa transition, en utilisant son deadname…

Encore une fois, ce film s’adresse à un public large, pas juste à une communauté trans qui connaît le sujet. La plupart des gens, vous leur dites aujourd’hui “un homme trans”, il ne savent pas ce que c’est. Ils pensent que c’est un homme qui devient une femme. Et je parle de gens qui sont cultivés, intelligents… Il faut juste avoir ça en tête. Il y a toute une éducation à faire par rapport à un public qui ne se sent pas touché par ce sujet. Et donc pour faire comprendre comment Benjamin peut effectivement porter son enfant, il fallait à un moment donné montrer son parcours. Et puis ce qui était très important pour moi, par rapport à l’histoire de Jacob, c’était l’histoire d’amour qu’il avait eue alors qu’il n’avait pas encore fait sa transition. Pour moi, cette histoire d’amour était le pilier. Si je n’allais pas dans le passé de Benjamin, le public ne pouvait pas ressentir la force de cette histoire d’amour et de courage. Parce que Benjamin, c’est un homme qui est hyper courageux à plein de points de vue, qui fait tellement de choses pour être lui, et qui a le courage de cette grossesse, qui pour lui est forcément très compliquée. Par amour pour sa compagne. Il y avait beaucoup plus de flashbacks dans le scénario, je n’ai gardé que les deux qui étaient pour moi capitaux, qui étaient des moments charnières, indispensables pour le public. Il fallait créer des liens avec le public, ancrer Benjamin dans une réalité sociale, celle d’une île où son métier d’infirmier le met en relation très étroite avec les habitants. 

Pourquoi avoir choisi de filmer le corps de Benjamin enceint ?

Je tenais absolument à avoir un plan de lui enceint. On a eu une discussion avec le distributeur sur ce plan qui, pour lui, était celui qui pouvait choquer le grand public, mais j’ai dit : “C’est le sujet du film !” Donc si je ne le montre pas, c’est comme si je n’assumais pas le sujet du film. Et puis pour moi, il est tellement beau, il ne me paraît pas extra-ordinaire, il me paraît juste beau avec son ventre. Je tenais à ce qu’il y en ait un, mais pas cinquante. Je ne voulais pas spectaculariser les choses. Le côté spectaculaire de Benjamin, c’est sa force, son courage, c’est tout ce qu’il y a l’intérieur de lui. Pas son corps.

A Good Man, de Marie-Castille Mention-Schaar, avec Noémie Merlant, Soko, Vincent Dedienne, Jonas Ben Ahmed (Pyramide Films)… Sortie le 10 novembre 2021.

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