La projection de Thelma & Louise à Écrans Mixtes nous donne l’occasion de revenir sur un genre bien particulier du cinéma, le « rape and revenge ».

Écrans mixtes : « Rape and revenge »

Invitée d’honneur à la 12ème édition d’Écrans Mixtes, la cinéaste Catherine Corsini a choisi pour sa carte blanche de nous faire (re)découvrir le mythique Thelma & Louise, road-movie féministe de 1991 écrit par Callie Khouri et illustration du “rape and revenge”. 

Présenté en clôture du festival, Thelma & Louise suit la cavale des deux femmes à travers les États-Unis, cavale déclenchée par la tentative de viol dont Thelma est victime, que Louise venge d’une balle dans le coeur de l’agresseur. L’occasion pour Hétéroclite de revenir sur un genre bien particulier du cinéma, le « rape and revenge ».

Littéralement « viol et vengeance », ce sous-genre du thriller ou cinéma d’horreur rassemble les films qui mettent en scène un ou plusieurs viols punis par un acte de vengeance. Susan Projansky, spécialiste dudit genre, le divise en deux catégories. Dans la première, la vengeance émane d’un tiers, le plus souvent masculin : père (The Virgin Spring), partenaire (Irréversible) ou encore avocat (Le droit de tuer). Les films tournent alors moins autour de la victime et sa reconstruction que du personnage masculin, présenté comme principal affecté du crime. En plus d’y être un simple outil narratif, déclencheur du « choc émotionnel » moteur de l’histoire, le viol sert de prétexte à la justification de violences masculines : on retrouve le scénario du good guy moralement missionné d’actes sordides, pour rendre justice à une victime anéantie. Dépolitisées, les violences sexuelles semblent y être l’unique apanage de « monstres » agressant les femmes dans ces fameuses ruelles sombres, sans réflexion aucune sur la culture du viol.

Vengeance cathartique

Dans la seconde catégorie, ce sont les victimes elles-mêmes qui, comprenant que la justice ne les protégera pas, prennent en main leur propre vengeance, qu’elle porte spécifiquement sur leur agresseur (I Spit on your Grave, Return to Sender, Revenge), ou sur le système plus généralement (Baise-moi, Thelma & Louise). Les personnages féminins retrouvent alors une agentivité (capacité d’agir sur le monde), abandonnant le rôle de « faire-valoir » de leurs homologues masculins. En re-centrant le récit sur l’expérience des victimes, en faisant émerger la dénonciation des violences sexuelles en tant que système, en présentant la rage des survivant·es comme étant légitime, le rape and revenge est là susceptible de prendre un tournant féministe. 

rape and revenge

Plus encore, le potentiel subversif de ces films se loge dans leur capacité à offrir à l’héroïne et au public des moments de catharsis (entendue comme défoulement, extériorisation). Il peut ainsi être jouissif de voir un ou plusieurs violeurs impunis, à l’origine de souffrances et traumatismes pour l’héroïne, se faire, sinon emprisonner, torturer ou tuer par cette dernière. Cette catharsis est, certes, recherchée par l’audience au sens large : regarder des personnages souvent minorisés se faire abuser plonge le public dans l’attente d’une revanche plus au moins sanglante. Mais c’est surtout aux spectateur·rices survivant·es de violences sexuelles que la fiction peut permettre de satisfaire un désir de vengeance « sombrement justifié », pour reprendre les mots de la journaliste Eliza Valley.

Érotisation, triggers et réalisme

La critique féministe émet toutefois des réserves face à ces représentations de la vengeance féminine. Tout d’abord parce que ces films, jusqu’ici principalement réalisés par des hommes, ont tendance à érotiser une certaine représentation des femmes vengeresses, qui sortent des flingues de leurs porte-jarretelles et chassent leurs agresseurs en talons aiguilles.

Ensuite, la représentation explicite de violences sexuelles, souvent inévitable dans le rape and revenge, fait écho au paradoxe soulevé par Susan Projansky : le désir de stopper le viol à l’écran VS la nécessité de le représenter. Pour certain·es survivant·es, les images de viol réactivent d’évidents traumatismes (triggers), les rendant insoutenables à regarder. D’autres affirment qu’il peut être cathartique de voir les autres spectateur·rices « piégé·es » dans la salle, impuissant·es et obligé·es de se représenter une violence dont l’ampleur est difficile à décrire par des mots. Cela à condition, bien entendu, que le viol lui-même ne soit pas érotisé. 

Par ailleurs, la vengeance, lorsqu’elle émane des femmes, se fait souvent au prix de leur vie. Le final de Thelma & Louise, Safe in Hell ou Promising Young Woman, nous apprend ainsi que la seule façon pour ces femmes de reconquérir leur destin, conserver leur agentivité, s’échapper des violences patriarcales ou « gagner la bataille », c’est de mourir. Outre la frustration liée au fait de voir des personnages féminins disparaître au moment précis où ils commençaient à être libres, ces fins, certes justifiées par une volonté de réalisme, font presque office d’avertissement : ne nous avisons pas de prendre notre revanche sur un système qui ne nous protège pas.

Enfin, suivre des femmes exterminant froidement tout homme sur leur passage ne semble que temporairement satisfaisant. Déjà, parce qu’il est complexe pour des victimes réelles de se projeter dans des personnages insensibles (tuant parfois même d’autres femmes) ou dans une revanche physiquement hors de portée, voire surnaturelle. Surtout, que se passe-t-il après le défoulement ? Pour la chercheuse Melina Pendulum, il serait tout autant cathartique d’offrir à ces femmes l’espace pour grandir, guérir et se définir au-delà du traumatisme. Sortir de l’injonction à la vengeance sanglante, donner des clés aux victimes pour se reconstruire, que cela passe par le militantisme, le soutien sororal, la confrontation avec l’agresseur ou la psychothérapie. Certaines séries, telles que I may destroy you, mettent brillamment en scène ce parcours réaliste de sortie du traumatisme. Un geste que le rape and revenge aurait tout intérêt à prolonger. 

Thelma & Louise, le 10 mars au Comoedia, 13 avenue Berthelot-Lyon 7.

 

FESTIVAL ÉCRANS MIXTES

À l’occasion de sa 12ème édition, le Festival de cinéma queer Écrans Mixtes propose pour la première fois une compétition de huit longs-métrages venus des quatre coins du monde, dont l’un sera récompensé du Grand Prix Écrans Mixtes-Mastercard. Le jury, composé de personnalités de cinéma telles que Jonas Ben Ahmed et Alexis Langlois, sera présidé par Catherine Corsini, invitée d’honneur de cette édition. Le festival proposera parallèlement une rétrospective de cette dernière, retraçant sa carrière depuis Les Amoureux jusqu’à La Fracture, Queer Palm à Cannes 2021. Bertrand Mandico, réalisateur des Garçons Sauvages et du récent After Blue, sera lui aussi convié à l’occasion d’une rétrospective partielle. Dans le cadre du focus « Maghribia Matrimonia », l’on pourra enfin découvrir cinq réalisatrices du Maghreb, qui mettent en scène par leur cinéma des figures de révolte féminines. Le tout sera agrémenté de nombreuses séances d’avant-premières de fiction (La revanche des Crevettes Pailletées, Tove, Les Battantes…) documentaires (tels que Rebel Dykes, Nos corps sont vos champs de bataille ou The Archivettes) et court-métrages, ainsi que d’une séance spéciale Alexis Langlois.

Du 2 au 10 mars 2022 dans la Métropole de Lyon / www.festival-em.org

 

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