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Accros aux crocs : Le club

L’accès à la jouissance retrouvé, Galaad n’en était pas moins toujours tiraillé par ses sentiments. Et bien que les chaudes nuits d’été aient laissé place à l’automne et qu’il ait quitté les abords du volcan, il lui fallait toutefois encore trouver le moyen de se libérer l’esprit en cédant à ses pulsions charnelles. Son talent pour l’excès  – un tendre euphémisme pour désigner sa tendance à l’autodestruction – avait besoin d’un cadre pour s’exprimer, et c’est dans les clubs de la ville qu’il le trouvait généralement. 

Une nuit, il avait ainsi rejoint un groupe d’ami·es – un cheptel de mortel·les qui lui tournait autour et auquel il s’interdisait de s’abreuver – sur une des péniches amarrées le long du quai de la rivière et qui offrait chaque soir pour quelques heures un échappatoire à la jeunesse de la ville qui fuyait le sommeil mortifère. Sans s’attarder sur le pont, il avait dévalé les marches qui menaient à la cale et avait été assailli par l’odeur âcre de la bière qui émanait du bar à l’entrée. Il s’était avancé d’un pas assuré jusqu’au dancefloor, contournant les corps titubants, comme aimanté par la boule à facettes au centre du plafond qui projetait sur les noctambules dansants des éclats de lumière, ajoutant à la pente du sol un tourbillon visuel qui conduisait à l’ivresse. 

Alors que résonnaient les premières notes de Lay All Your Love On Me d’ABBA, des souvenirs anciens de cet amour qui ne voulait pas mourir lui étaient revenus en mémoire. C’était ici, dans cet antre nimbé de rouge sang, qu’ils s’étaient rencontrés la première fois. Ici que leurs corps s’étaient rapprochés, que leurs bouches s’étaient unies, que la passion était née. Ici le début de la complicité, de l’intimité, des projets pris sur un coup de tête. Accompagné des sons organiques de cathédrale intergalactique du groupe suédois, Galaad parcourait mentalement la genèse de cette union. Et la magie de ce qu’ils avaient vécu ensemble semblait à nouveau palpable, flottant au milieu des effluves d’alcool, comme atteignable. 

Dans ces moments, comme suspendus, hors du temps, il était alors tentant de croire que tout était encore possible, que les retrouvailles pourraient sans mal se produire, que la route, même tortueuse, était encore praticable. Toutefois, inexorablement remontaient aussi à la surface les instants plus difficiles, la jalousie que l’on se promet de ne pas éprouver et qui se révèle toujours plus forte, les traces de l’éloignement qui déchirent le coeur, la dureté des mots et des regards, le constat de ne plus être unique aux yeux de l’autre, l’amertume de se voir remplacé et de devoir céder la place, à nouveau, comme à chaque revirement. À cet instant de la musique, sur cette piste de danse où se pressaient des corps sans illusion trempés de sueur, Galaad avait compris qu’on ne pouvait demander à personne de déverser tout son amour sur soi. Et qu’il fallait sans doute, même à contre-coeur, mettre fin au jeu douloureux des hésitations assassines. 

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