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Jeu vidéo et représentations LGBT+

Parler conjointement de jeux vidéo et de représentations LGBT+, c’est le plus souvent déplorer l’avancée d’un média jugé en retard sur ses adelphes numériques (cinéma, séries), ou bien célébrer une franchise nous ayant donné à jouer et à voir des personnages sortant enfin de la norme cis-hétéro-patriarcale. Cependant, le jeu vidéo n’a-t-il pas aussi autre chose à nous apprendre sur cette question des représentations ? 

En effet, et parmi d’autres caractéristiques qui lui sont propres, le jeu vidéo se différencie du cinéma, de la littérature ou encore de la musique par son aspect interactif. Une interactivité plus ou moins poussée selon les jeux, mais qui, lorsqu’elle est narrativement investie par les développeur·euses, peut permettre à un seul opus de contenir un nombre impressionnant de récits. 

Prenons pour exemple les dynamiques de choix multiples : pour telle situation donnée, les joueur·euses pourront choisir entre plusieurs voies, chacune pouvant amener à modifier la suite de l’histoire. Ces choix se multipliant, l’œuvre exhaustive se composera d’une arborescence extrêmement variée, dont on ne pourra, en une seule partie, découvrir qu’une déclinaison. Du fait de ces structures narratives en arborescence, il est tout à fait possible que plusieurs personnes aient du même jeu une expérience sensiblement différente. 

En ce qui concerne les représentations homosexuelles ou bisexuelles, cette dynamique se retrouve surtout dans la possibilité d’élire telle ou tel personnage comme partenaire amoureux. Développeurs et développeuses pourront ainsi offrir, parmi le nombre de personnages romançables, certaines romances non-héterosexuelles. Dans l’histoire du RPG occidental, le studio BioWare fut l’un des acteurs les plus visibles de ce changement, à travers des sagas comme Mass Effect ou Dragon Age – et Hétéroclite s’y intéressait en 2012

Cette implémentation progressive n’eut rien d’un long fleuve tranquille. Malgré la dimension facultative de cette homosexualité choisie seulement par celles et ceux qui le désiraient, ce changement ne manqua pas de causer des émois chez des communautés de joueurs horripilés à l’idée que le parangon de virilité qu’ils jouaient puisse se faire draguer par un protagoniste masculin. On se souvient notamment, à la sortie de Dragon Age II en 2011, de la demande par certains joueurs particulièrement homophobes d’une option « No Homosexuality » qui  épurerait en un clic tout contenu indésirable. 

Un « bouton gay » ?

Pour autant, et malgré l’avancée incontestable représentée par l’apparition de possibles relations non-hétérosexuelles, cette mécanique optionnelle commence aussi à faire sentir ses limites. On doit ainsi à la conceptrice de jeux vidéo Anna Anthropy l’apparition du concept de « bouton gay », pour désigner un contenu LGBT+ qui n’apparaîtrait que pour celles et ceux qui le rechercheraient activement.

De fait, jusqu’à quel point peut-on vraiment parler de représentation lorsque le contenu en question n’est trouvable que pour celles et ceux qui le recherchent, tout en préservant les sensibilités lgbtphobes ?

Une différence apparaît donc entre la possibilité pour un personnage auto-inséré par les joueur·euses d’être homo ou bi, principalement via ses choix de romance, et l’insertion incontournable de protagonistes LGBT+ dans la trame narrative. Les innombrables controverses autour du très attendu The Last of Us Part II du studio Naughty Dog, paru en 2020, vinrent ainsi nous révéler, pour le meilleur et pour le pire, que faire le choix d’un personnage principal inévitablement LGBT+ consistait toujours à jeter un pavé dans la mare. En effet, parmi les différentes polémiques suscitées par la sortie du jeu, on assista notamment à une vague de haine scandalisée de la part de joueurs lgbtphobes ne supportant pas de jouer une femme lesbienne ou de voir leur personnage se lier avec un jeune garçon trans. 

Les différentes adresses de la fiction

La critique du bouton gay nous pousse ainsi à ré-envisager ce que nous attendons des représentations LGBT+. En effet, voir, lire, ou découvrir des figures auxquelles on peut s’identifier est un élément fondamental de la construction de soi. En ce sens, les dynamiques de choix associées au bouton gay ont un intérêt indiscutable. Il y a par ailleurs un vrai plaisir à pouvoir façonner à son goût le personnage d’un jeu et son aventure. 

Pour autant, cantonner à ce seul modèle les représentations LGBT+ dans le jeu vidéo pose plusieurs problèmes, puisqu’en leur faisant de nouveau courir le risque de la confidentialité, il les empêche de s’adresser à un public plus large, tout en limitant les expériences représentables. 

Ce concept amène donc avec lui une réflexion qui a le mérite de venir revitaliser les débats autour des représentations. D’une part, en rendant compte des dynamiques propres au jeu vidéo, il nous permet d’envisager la place de choix que celui-ci pourrait occuper dans une meilleure diffusion des représentations LGBT+. D’autre part, il nous rappelle que représenter une communauté minoritaire demande du soin et de la considération, tant par la prise en compte de sa pluralité que par le fait d’assumer ce choix, et ce même auprès d’un public n’étant pas conquis d’avance.

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