Pános H. Koútras, réalisateur grec follement hellène

En consacrant une rétrospective au cinéaste grec Pános H. Koútras, le festival Écrans Mixtes met à l’honneur un créateur qui s’inscrit dans la foulée d’un John Waters ou d’un Pedro Almodóvar.

Si on osait, on écrirait que Pános H. Koútras est un pervers, et que ce n’est pas pour nous déplaire. Ce serait en effet une sorte de compliment paradoxal puisqu’il signifie ici que tout son cinéma passe son temps, avec une irrésistible acuité, à pervertir en les transgressant tout ce qu’il touche : les mythes grecs (Œdipe, Homère, Sophocle, la Callas…), les genres de tous les genres (cinématographiques, sexuels, sexués…) et les conventions de toutes sortes (sociales, morales, narratives, etc.). Bref, Pános H. Koútras est intégralement du côté de ce que l’on aime : l’irrévérence, l’invention, la rébellion, le goût irréfragable de la solidarité, le sens de la légèreté et celui du drame indissociables, l’underground et le populaire se faisant écho : il est ainsi la preuve qu’aimer les divas de la pop italienne seventies et le John Waters des débuts est tout sauf antinomique !

Un réalisateur éclectique

En quinze ans et quatre longs-métrages (dont un inédit, Real Life, qu’on découvrira durant le festival Écrans Mixtes), ce Grec follement hellène mais aussi terriblement français – il a longtemps vécu à Paris, revient en France régulièrement et parle un français parfait de sa voix de stentor – a imposé la singularité de son regard à travers des prismes pour le moins divergents.

Au point qu’on a pu se demander ce qu’il pouvait bien y avoir de commun entre une pochade queer comme L’Attaque de la moussaka géante, son premier film (1999), sorte de parodie fauchée et délirante des séries B de science-fiction, et Strélla, son troisième opus dix ans plus tard, qui allie plutôt les accents de la tragédie antique et ceux du mélo le plus flamboyant pour raconter la rencontre d’une prostituée trans au grand cœur et d’un ancien prisonnier dont la relation prend d’autres couleurs au fil de la révélation du passé…

Le lien, on aurait dû s’en douter, c’est Pános H. Koútras lui-même ; c’est son irrespect chatoyant des règles établies ; c’est sa capacité épatante à célébrer tellement les grandes références culturelles dont il nourrit son travail qu’il n’en est pas otage et peut se permettre de les bousculer dans tous les sens ; c’est peut-être surtout l’étourdissant syncrétisme qu’il incarne entre toutes les dimensions de la culture et de l’identité gay et queer, de la dérision au militantisme, du drame au kitsch, du baroque au trivial. Il se pose ainsi, à sa manière particulière comme chacun de ces artistes uniques, en héritier de toute une histoire dont les hérauts et les héros se nomment John Waters, Pedro Almodóvar, Derek Jarman ou Werner Schroeter.

Un conteur qui multiplie les embardées

Ce qui est beau chez Koútras, c’est qu’il ne méprise rien, c’est qu’il ne hiérarchise rien, c’est qu’il ne fait pas de différence de valeur entre les désirs, les modes de vie, les formes artistiques… Sa sincérité de cinéaste est la même, qu’il use des armes du camp le plus débridé (L’Attaque de la moussaka géante et ses savants en blouses roses, ses aliens-bimbos, ses travestis extravagants…) ou de celles du récit d’apprentissage adolescent, entre aventure et humanisme, tendresse et violence sociale. Xenia, son dernier film en date (2014), nous invite ainsi à suivre, à travers une Grèce en crise, deux frères en quête de leur père inconnu, dans une sorte d’Odyssée inversée, un double Télémaque partant sur les traces d’Ulysse, avec ce que cela recèle de rencontres (agréables ou non) et de découverte de soi.

xenia Pános H. Koútras kostas nikouli copyright josefine camitz

La Grèce, depuis Homère au moins, est la terre des conteurs, et Pános H. Koútras n’est pas un des moins doués. Tous ses films en portent la trace, eux qui savent sans crier gare faire de stupéfiantes embardées de scénario ou de tonalités sans pour autant perdre leur cohérence. Il sait ce que les ruptures (de rythme, de style…) apportent à la dramaturgie et son utilisation de la musique et des chansons dans tous ses films en est la preuve. C’est particulièrement sensible dans Xenia, dans lequel il glisse avec drôlerie et sensibilité les vieux tubes ritals de Raffaella Carrà et Patty Pravo, nous donnant l’irrésistible envie de les réécouter ensuite en boucle. On terminera en signalant qu’en grec, Xenia signifie «hospitalité». C’est peu dire que le cinéma gay, doux, transgressif, amical et inattendu de Pános H. Koútras est hospitalier et accueillant, et qu’on s’y sent bien.

Festival Écrans Mixtes, du 4 au 10 mars / www.festival-em.org

 

Les quatre films de Pános H. Koútras

_L’Attaque de la moussaka géante, vendredi 6 mars à 21h30 au au Comoedia, 13 avenue Berthelot-Lyon 7 / 04.26.99.45.00 / www.cinema-comoedia.com
_Strélla, samedi 7 mars à 17h au au Comoedia, 13 avenue Berthelot-Lyon 7 / 04.26.99.45.00 / www.cinema-comoedia.com
_Xenia, jeudi 5 mars à 21h à l’Institut Lumière, 25 rue du Premier Film-Lyon 8 / 04.72.78.18.95 / www.institut-lumiere.org et samedi 7 mars à 20h30 au Ciné-Mourguet, 15 rue Deshay-Sainte-Foy-lès-Lyon / 04.78.59.01.46 / www.cinemourguet.com
_Real Life, dimanche 8 mars à 21h25 au au Comoedia, 13 avenue Berthelot-Lyon 7 / 04.26.99.45.00 / www.cinema-comoedia.com
Chaque séance sera suivie d’une rencontre avec le réalisateur.

 

Photo 1 : Pános H. Koútras © Takis Tsantilis
Photo 2 : Kostas Nikouli dans Xenia © Josefine Camitz

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