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Olivier Ducastel : “le sida est aussi important dans nos films qu’il peut l’être dans nos vies”

Olivier Ducastel a coréalisé, avec Jacques Martineau, sept films dans lesquels l’homosexualité et/ou le sida sont des thèmes centraux. Le dernier, Théo et Hugo dans le même bateau, est programmé en avant-première au festival Vues d’en face avant sa sortie nationale le 27 avril.


Votre précédent film avec Jacques Martineau (L’Arbre et la forêt, 2010) est sorti en salles il y a six ans. Pourquoi un tel laps de temps entre vos deux dernières réalisations ?

Olivier Ducastel : En réalité, on a écrit entretemps deux films qui étaient prêts à être tournés mais qui ne se sont jamais faits. On a travaillé sur le premier pendant plus de deux ans, mais le producteur n’a pas réussi à le financer. Quant au deuxième, on a jeté l’éponge dès qu’on a senti qu’il embrayait mal car, après ce premier échec, on ne voulait pas perdre plus de temps sur un projet qui semblait un peu difficile à produire. Ces deux films avaient un problème commun : ils nécessitaient un budget très élevé – entre sept et dix millions d’euros – auquel nous ne pouvons pas prétendre.

 

Est-ce selon vous parce qu’il s’agissait de projets de films traitant d’homosexualité qu’il a été impossible de les financer ?

Olivier Ducastel : Non, au contraire, parce que ce n’était pas des films gays. Par conséquent, ils s’identifiaient moins à nos réalisations précédentes et cela a peut-être joué en leur défaveur. Le premier film devait retracer la vie tumultueuse d’Arletty pendant l’Occupation. C’était un projet qui nous plaisait énormément mais un téléfilm sur le même sujet était déjà en préparation (Arletty, une passion coupable, avec Laeticia Casta, diffusé sur France 2 en mars 2015, NdlR). Le producteur le savait et pensait qu’on pouvait arriver à prendre de vitesse ce projet concurrent mais ça ne s’est pas fait.

Le deuxième film que nous avions écrit devait être une comédie romantique assez sophistiquée sur toute la mythologie qui entoure les actrices hollywoodiennes, avec un aspect borgésien qui se serait révélé progressivement. Mais le scénario a été jugé trop bizarre et trop compliqué et cela a constitué un handicap supplémentaire – même si je reste persuadé qu’une fois réalisé, le film aurait été parfaitement compréhensible.

 

Avez-vous rencontré les mêmes difficultés pour financer et réaliser Théo et Hugo ?

Olivier Ducastel : Non : heureusement, les choses sont allées très vite cette fois-ci. Vu le sujet du film, nous savions que nous allions devoir le réaliser avec très peu d’argent. L’avantage de cela, c’est que nous n’avions de comptes à rendre à personne, ce qui nous a permis d’avancer rapidement. Entre le moment où nous en avons parlé pour la première fois à notre producteur (Emmanuel Chaumet) et le mixage final, il s’est passé moins d’un an.

 

Il s’agit de votre septième film et le quatrième dans lequel le sida est un thème central. En fait, en parcourant votre filmographie, on arrive à retracer toute l’histoire du sida en France, depuis les débuts de l’épidémie jusqu’à aujourd’hui, en passant par l’arrivée des trithérapies au milieu des années 90…

Olivier Ducastel : Oui, mais notre filmographie ne suit pas cette évolution de façon chronologique. Nés en 68 (2008), le film dans lequel nous racontons notamment l’irruption du sida dans les années 80, est notre cinquième long-métrage, bien après Jeanne et le garçon formidable (1998) ou Drôle de Félix (2000), qui se situent plutôt au moment de l’arrivée des trithérapies. On voulait faire ce retour en arrière parce que cela nous intéressait de nous pencher sur cette époque que nous avons connue, durant laquelle nous étions de jeunes gays inquiets de cette nouvelle maladie encore non-identifiée. En fait, le sida est aussi important dans nos films qu’il peut l’être dans nos vies.

Mais on peut aussi penser que la place qu’a prise ce thème dans notre filmographie découle en partie de notre premier long-métrage, Jeanne et le garçon formidable. À l’époque, Jacques était très impliqué dans Act Up et il ne voyait pas comment écrire un scénario sans parler de ce qu’il vivait directement. C’est comme ça que cette question est apparue dans le film.

Ensuite, ce sont des discussions avec des spectateurs et des spectatrices de Jeanne qui nous ont donné l’envie de tourner notre film suivant, Drôle de Félix. Les gens nous disaient que l’histoire les avait touchés mais que, quand même, ce n’était pas cela, la vie d’un séropositif ! C’est pour cela qu’on a voulu, avec ce deuxième long-métrage, raconter l’histoire de séropositifs qui arrivent à vivre normalement. C’est peut-être ces deux films qui ont ensuite poussé Arte à nous faire confiance pour raconter les premières années du sida en France dans Nés en 68, qui est un film de commande.

 

Est-ce qu’en suivant cette évolution, on verra un jour un film de Ducastel et Martineau sur la place du sida dans la société française au temps de la PrEP ?

Olivier Ducastel : Peut-être bien ! On a écrit et tourné le film avant l’arrivée de la PrEP en France, tout en sachant que celle-ci serait bientôt là et que le film était voué à être démodé rapidement puisque, dans quelques mois, de nouvelles problématiques se poseront très certainement en matière de prévention du sida. Nous voulions dès le départ raconter une histoire d’amour et, même si nous ne savions pas encore comment l’amener, nous sommes très tôt tombés d’accord sur la question de la séropositivité d’un des deux personnages. C’est en imaginant l’histoire que l’on s’est dit que c’était peut-être la bonne manière d’introduire un élément dramatique dans le film.

 

La séquence d’ouverture de Théo et Hugo est à la fois très forte et très frontale. Je ne crois pas qu’une telle scène de baise dans un sex-club ait déjà été montrée par le cinéma français… En revanche, elle rappelle un peu l’ambiance de certaines séquences de Cruising (1980) de William Friedkin, qui se passe en grande partie dans des sex-clubs gays new-yorkais. Est-ce un film qui vous a inspiré pour cette première scène ?

Olivier Ducastel : Non ; à vrai dire, je ne suis pas sûr d’avoir déjà vu Cruising… Pour cette scène, nous avons pensé à ces films qui montrent des lieux de drague mais où l’action s’arrête toujours aux portes des cabines. Nous voulions montrer ce qui se passe derrière ces portes. La scène a été entièrement pensée en tenant compte de la pièce dans laquelle elle a été tournée, qui est somme tout assez petite et au milieu de laquelle trône un lit qui est clairement un lieu d’exposition. À première vue, c’est un lieu uniquement dédié à la consommation sexuelle, mais je trouvais intéressant d’imaginer toutes les histoires qui peuvent se nouer entre les garçons qui se retrouvent sur ce lit, à partir du moment où on ne les voit pas seulement comme des corps masculins ayant des relations sexuelles, mais aussi comme des personnes qui se rencontrent.

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Comment s’est déroulé le casting, sachant que le film s’ouvre sur cette scène qui demande aux acteurs un grand investissement physique ?

Olivier Ducastel : De manière assez traditionnelle. Nous demandions aux candidats de jouer des scènes intimes : une scène de baiser et une scène d’engueulade. À partir de cela, on formait des associations, des couples, qui nous semblaient pertinents. Il s’est trouvé que Geoffrey (Couët, alias Théo dans le film, NdlR) et François (Nambot, alias Hugo, NdlR) passaient en même temps et qu’ils fonctionnaient bien ensemble. C’était comme un coup de foudre entre eux et j’aime beaucoup les coups de foudre. Ensuite, on a parlé avec eux du scénario et leur choix s’est imposé telle une évidence, avec une très grande limpidité.

Mais c’est vrai que, pour cette scène d’ouverture, nous avons dû nous poser la question du type d’acteurs que nous voulions. Devions-nous engager des performeurs du monde artistique, des acteurs traditionnels ou des acteurs pornos ? Nous avons finalement décidé de ne pas prendre des personnes venues du X. Comme les scènes de sexe ne durent que les vingt premières minutes du film, il nous fallait des personnes ayant un jeu d’acteur suffisamment solide pour assurer les trois-quarts restants de l’histoire. Un ami lié au milieu du porno m’a aussi averti que les acteurs X pouvaient être réticents à se montrer dans un film destiné aux salles. Enfin, le problème avec les acteurs porno, c’est qu’ils représentent la sexualité d’une façon bien particulière qui n’est pas celle que nous recherchions pour les scènes dans le sex-club.

 

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La séquence suivante, qui se déroule aux urgences, revêt une dimension quasi-pédagogique : que faut-il faire quand on a eu un rapport non-protégé, qu’est-ce que le traitement post-exposition (TPE), comment est-il délivré, etc. Était-ce voulu dès l’origine ou est-ce venu en cours d’écriture ?

Olivier Ducastel : Toute cette séquence a en effet un côté pédagogique, mais je me méfie de ce terme car, en France, il a tendance à faire un peu peur à tout le monde. Je dirais plutôt que cela correspond à ce que j’appelle une «trouée documentaire» dans le film : j’aime bien, en tant que spectateur, qu’il y ait des moments dans une fiction où l’on se sent presque dans un documentaire. C’est pour cela qu’on a minutieusement vérifié le trajet des personnages entre le sex-club et les urgences, le temps que cela leur prendrait, etc. En dehors de quelques ellipses, toute l’histoire est quasiment racontée en temps réel.

De la même façon, il fallait que Théo et Hugo passent un certain temps à l’hôpital pour que le film soit crédible. Dès le départ, nous savions que nous n’allions pas écrire les scènes qui se déroulent aux urgences de la même façon que les autres. Nous avons passé des castings pour recruter un-e interne et, une fois que nous l’avons choisie, nous avons discuté avec elle du canevas de la scène où elle reçoit Théo et Hugo dans son bureau. Cela nous a beaucoup guidés pour deux ou trois choses importantes que nous ne savions pas forcément, par exemple le fait que le patient doit prendre le premier médicament de son traitement post-exposition devant l’interne. Tout cela donne à cette séquence un côté très documentaire.

 

Théo et Hugo a été présenté à la dernière Berlinale, où il a remporté un Teddy Award, le Prix du public. Est-ce que ce genre de récompenses, distinguant les films LGBT, est important pour vous ?

Olivier Ducastel : Oui, j’apprécie beaucoup l’originalité des Teddy Awards.  Le jury voit des films de toutes les sélections, comme le fait celui de la Queer Palm au festival de Cannes. Et, par ailleurs, le film s’est bien vendu à l’étranger lors de cette Berlinale.

 

Dans une interview donnée à Yagg en 2010, au moment de la sortie de L’Arbre et la forêt, vous déclariez : «de tous les cinéastes gays français, nous sommes les seuls à accepter cette étiquette». Qu’est-ce qui motive ce choix – encore rare – d’assumer cette identité gay ?

Olivier Ducastel : À l’époque, nous vivions en couple et nous racontions des histoires gays : cela nous paraissait impensable de ne pas nous revendiquer comme des réalisateurs homosexuels ! C’est quelque chose dont j’ai vraiment pris conscience quand j’ai accompagné des films en Amérique du Nord : là-bas, il y a une manière beaucoup plus franche d’aborder cette question. En France, on peut faire des films gays avec des thématiques gays tout en prétendant à l’universalité…

 

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Olivier Ducastel : Ah, ça, c’est la question qui tue ! En fait, on ne travaille sur rien pour le moment, parce qu’on a passé les deux dernières années à se dire qu’après Théo et Hugo, on allait réaliser l’adaptation du livre d’un dessinateur que nous aimons beaucoup. Mais, finalement, ce n’est pas nous qui tournerons cette adaptation… Donc nous sommes un peu dans une période où l’on se demande ce que l’on a envie de faire et je crois que ça dépendra beaucoup de la réception de Théo et Hugo : pas tant en termes de succès que d’impressions et d’échanges avec les spectateurs et spectatrices. En attendant, c’est un peu le syndrome de la page blanche pour nous !

 

Théo et Hugo dans le même bateau
Sortie nationale mercredi 27 avril.
Avant-première en présence d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, vendredi 8 avril à 22h au cinéma Le Club, 8 bis rue du Phalanstère-Grenoble / 06.88.70.75.64
www.vuesdenface.com

 

Photo : Olivier Ducastel (au centre) en compagnie de ses acteurs Geoffrey Couët (à gauche) et François Nambot (à droite) © DR

 

Filmographie Ducastel & Martineau

– Jeanne et le garçon formidable (1998)
– Drôle de Félix (2000)
– Ma vraie vie à Rouen (2002)
– Crustacés et Coquillages (2005)
– Nés en 68 ( 2008)
– L’Arbre et la forêt (2010)
– Théo et Hugo dans le même bateau (2016)

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